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Aurélie Fretti : dans les coulisses de Di Fretto

Il y a plusieurs vies au cœur d’une existence. Aux portes de la quarantaine, Aurélie Fretti a fait la rencontre de sa créativité peu après être devenue mère pour la première fois. Et celle qui refusait de faire des vagues a alors façonné des torsades, désormais emblématiques de sa signature esthétique. Des tresses sculptées qui permettent à la créatrice de renouer avec des racines fondamentales tout en s’affranchissant du poids des traditions et des principes.

Le 22 décembre 2025

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Se redécouvrir

« Si je devais m’adresser à la petite fille que j’étais, je lui dirais que ça va le faire. Je lui dirais qu’il ne tient qu’à elle de dépasser les croyances limitantes qui entament son épanouissement. Il est primordial de suivre le fil de son bonheur même si ça semble faire désordre. » Après des années à se fondre dans le moule d’une vie sérieuse qui rassurait et honorait ses aînés, Aurélie Fretti s’est autorisée à sortir du cadre pour donner corps à des idées plus grandes que ses peurs, comme en témoignent ses mots. Un cheminement parfois éprouvant, mais salvateur qui guida l’ancienne publicitaire vers sa réalisation. À une première maternité vécue comme une épiphanie et un retour à la nature bienfaisant, s’est ajoutée une rencontre venue donner du sens à la traversée de l’existence : celle de sa créativité. 

Il y a 6 ans, fraîchement installée en plein cœur de la forêt de Rambouillet avec son compagnon et son nourrisson Anouck, Aurélie Fretti, jusqu’alors publicitaire parisienne, découvre la céramique : « Sans transition, je me suis retrouvée seule dans les bois avec un bébé alors même que j’avais accepté un poste de directrice de la communication pour une grande maison de champagne et qu’avant cela, mon quotidien était absolument urbain. C’était ce que je voulais, mais les premiers temps ont été bouleversants. Quand ma fille est entrée à la crèche, je me suis orientée vers le freelancing et j’ai décidé de trouver des activités à réaliser en groupe afin de sociabiliser de nouveau. Je me suis inscrite à un cours de poterie proposé par une prof “à l’ancienne”, un peu rigide, dans le fin fond des Yvelines. Contre toute attente, j’ai adoré. À tel point que le jeudi, le jour de mes cours, était le seul jour où je ne me disputais pas avec mon compagnon ! », avoue-t-elle. 

Par la présence qu’elle cultive et la sensibilité qu’elle convoque, la pratique de la céramique permet à la trentenaire de s’évader, avec le plaisir pour ticket de sortie. Pour celle qui avait alors mené une vie à travers le prisme du devoir, l’expérience de la joie créative est transcendante : « Mon père est italien et ma mère est polonaise. Mes grands-parents travaillaient dans les mines. Ils ont fait des sacrifices afin de me payer des études alors quand il a fallu se dessiner un parcours professionnel, il n’était pas question que je me tourne vers l’art. Il fallait quelque chose de raisonnable pour combler les attentes de mes parents, je me suis donc dirigée vers la publicité après mon école de commerce. C’était très énergivore et laborieux, car je gérais des projets alors même que je n’étais ni stimulée ni bonne dans ce que je faisais. Je déployais une énergie monstrueuse à me combattre pour assurer au travail et, pour autant, cette situation d’échec ne me quittait pas, jusqu’au burn-out. » 

La céramique offre à la créatrice en devenir une perspective d’épanouissement où elle n’a pas besoin d’embrasser un rôle attribué. L’équilibriste qui oscillait au gré des approbations découvre ainsi une notion passée jusqu’alors au second plan : l’amusement. « Je prenais plaisir à réaliser des pièces d’anatomie comme des pieds ou des bustes. Moi qui n’avais jamais fait l’expérience de la facilité, je prenais plaisir à concevoir des choses sans que cela représente un effort. J’étais grisée et en postant quelques-unes de mes créations sur les réseaux sociaux, je voyais que le regard extérieur était également très favorable. C’était une révélation », s’émerveille-t-elle.

Imaginer Di Fretto et S’incarner

En parallèle, la maternité d’Aurélie, vient parachever cette dynamique d’empowerment. Là encore, elle vit une métamorphose providentielle : « La responsabilité d’un être sans défense et projeté dans la vie m’a transformée. Anouk a rencontré des problèmes de santé dès la naissance et moi qui était celle qui ne conduisait pas, qui ne l’ouvrait pas pour avoir une augmentation, je suis devenue une lionne prête à tout pour mon bébé. J’ai appris à ce moment-là que des montagnes pouvaient être déplacées grâce à la force de cet amour maternel. Cela m’a profondément changée. Me sentir capable et douée dans ce rôle de mère, c’était magistral. Je me sentais à ma place. Cela rejoignait le bonheur que je ressentais à sculpter mes créations et qui me rendait légitime de fait. » 

Dans le sillage de ses nouvelles aspirations, la créative matérialise des formes qui s’imposent comme une évidence, sans rechercher ni étiquette ni emblème. Et pourtant, elle raconte : « Je n’ai pas commencé à façonner mes pièces en suivant un concept. Durant mes années de communicante, j’avais été noyée dans ce bain marketing et je voulais m’en éloigner. Alors, j’ai simplement suivi mes envies : des animaux, des formes anatomiques, des torsades. Rapidement, je suis devenue monomaniaque des torsades. Je trouvais ce mouvement magnifique et captivant. J’en ai fait de plusieurs tailles, dans plusieurs matériaux et je ne me suis jamais lassée. Mes “babkas” sont devenues la signature Di Fretto, mais de mon point de vue, Cette forme m’a choisie. »

Ce n’est que plus tard qu’Aurélie prend conscience de la signification de ce volume enlacé, à la faveur d’un échange au pouvoir introspectif avec une journaliste du Monde : « Elle était venue à la maison pour réaliser une interview dans le cadre d’un dossier sur l’empreinte italienne dans le paysage créatif du moment. De ce fait, mon travail sortait du lot, car il n’offrait pas un écho à la fameuse dolce vita, il permettait plutôt de donner une résonance à d’autres références esthétiques comme l’Italie des classes modestes, la tresse de mozzarella, l’Italie de De Niro, quoi ! (Rires). En tant que fille d’un père italien et d’une mère polonaise ayant absolument voulu faire corps avec leur nouveau pays, je n’avais pas conscientisé que mes torsades s’appropriaient un symbole commun à mes multiples racines. À tel point que j’avais appelé mes créations tressées “babkas” sans même avoir fait le lien entre ce terme et mes propres origines. Je n’avais pas non plus appréhendé que ces torsades appartenaient à l’imaginaire des colonnes romaines ! » La créativité de la céramiste lui offre ainsi un voyage initiatique presque thérapeutique vers sa propre identité, comme un puzzle que l’on réaliserait dans le silence et dont le résultat prendrait la forme d’une libération, d’une renaissance. 

S’accorder de la lumière

C’est Chiara Colombini qui repère les pièces Di Fretto sur les réseaux sociaux. Une nouvelle rencontre opportune qui prouve encore davantage à la sculptrice qu’elle est sur le bon chemin : « J’étais tiraillée entre mon désir d’explorer cette créativité naissante et l’obligation financière. Je m’autorisais à octroyer 20 % de mon temps à la création, mais ce n’était pas suffisant pour concrétiser mes idées. Je vendais quelques pièces, mais ce n’était vraiment pas digne d’une success-story. Il m’était par ailleurs impensable de me revendiquer artiste à la lumière de mon parcours. J’étais donc coincée dans mes propres angles morts quand j’ai eu la chance de rencontrer Chiara, qui habitait dans la même commune que moi et qui représente des designers. Elle souhaitait visiter mon atelier qui était alors une cave avec quelques pièces qui se couraient après. Très enthousiaste à l’idée de commercialiser mes céramiques, elle m’a encouragée à donner une fonction à mes pièces. Subjuguée par son retour, j’ai installé des douilles dans mes torsades pour en faire des lampes alors que je m’en faisais toute une montagne. »

Un événement parisien très réussi, un carnet de commandes qui s’étoffe et plusieurs parutions élogieuses plus tard, Aurélie Fretti envoie enfin balader son syndrome de l’imposteur afin de se concentrer sur l’amour du façonnage, corps et âme. Dans son atelier, situé aux portes de sa nouvelle maison familiale perchée dans le Luberon provençal, elle embrasse la singularité de son esprit artistique et avance à son rythme, avec cœur : « J’ai appris à me connaître. Aujourd’hui, je m’autorise à créer des choses parce que ça me fait envie sans même savoir si le résultat me servira ou non. Et, en faisant con-fiance à ce processus, j’ai compris que mes créations étaient autant la conséquence d’explosions créatives que de temps de digestion ou de réflexion. J’ai besoin que mes idées décantent pour qu’elles se concrétisent, mais je réponds aussi à l’adrénaline de l’urgence de faire. C’est un balancier que j’accepte. Je ne me suis longtemps autorisée que l’action, car me sentir dans la recherche de performance donnait du sens au sacrifice de mes parents. Pour autant, je ne me sentais ni efficace ni heureuse. Maintenant, j’ai trouvé mon chemin et cela m’épanouit, car je me respecte enfin. J’ai toujours du mal avec la compétitivité, je préfère créer loin du monde et mon atelier à Saignon est idéal pour cela. »

Sous l’approbation du soleil et sa lumière poétique, celle qui peine encore à se définir comme une artiste vit en harmonie avec une nature qui l’apaise autant qu’elle la nourrit. Dans cet environnement, l’horizon est la seule limite de cette femme qui voit désormais en grand : « L’espace appelle le volume. Je travaille aujourd’hui dans un atelier me permettant de dépasser les obstacles à mes propres perspectives. C’est une dynamique vertueuse et libératrice, car en réalisant des pièces plus massives, j’expérimente aussi l’utilisation de nouveaux matériaux. Bien que j’apprécie la céramique pour sa facilité, je travaille également le plâtre pour façonner des œuvres d’ampleur. Je me suis lancée en réalisant un soubassement composé de torsades en plâtre qui est aujourd’hui installé dans ma propre maison. C’était épique, une véritable expérience. Je l’ai vécu comme un accouchement. Je souhaite continuer à explorer mon rapport à la torsade à travers de nouveaux matériaux et surtout de nouvelles échelles. J’ai hâte de voir vivre des murs de torsades chez des gens », conclut la fondatrice de Di Fretto. 

À la lumière de ce portrait célébrant l’affranchissement par la joie créative et la sororité, il est bon de rappeler à toutes les artistes d’aujourd’hui et de demain qu’il vaudra toujours mieux « faire et progresser plutôt qu’attendre que cela semble parfait et finalement ne jamais vraiment se lancer ». Et c’est la prodigieuse Aurélie Fretti qui le dit. 

www.difretto.com

Retrouvez le portrait d’Aurélie Fretti, fondatrice de Di Fretto dans le Volume 17, édition spéciale de notre revue Les Confettis avec Lisa Gachet.

Crédit Photo en Une ©Alix Jean