Rencontre avec la photographe, Clémence Veilhan
C’est en découvrant Chewing-girls, 24 images dans la vie d’une femme et Je n’ai jamais été une petite fille, des

C’est en découvrant Chewing-girls, 24 images dans la vie d’une femme et Je n’ai jamais été une petite fille, des séries exposées à la Galerie Laure Roynette à Paris en 2015, que l’on est tombé sous le charme de Clémence Veilhan. L’artiste exprime une vision sensible de la féminité, de la femme libre, pleine de questionnements sur la relation à l’autre et la place qu’elle occupe au sein de la société. Ses photos sont le reflet d’un imaginaire poétique, d’où se dégage une volonté de dépassement et de réalisation de soi-même. Si sa vie et son art sont intrinsèquement liés, dans un aller-retour entre imaginaire et réalité, c’est parce qu’elle ne dissocie pas création et vie personnelle. Avec Vidéo Girl et La Fille Lazer, son geste se déplace puisqu’elle tend vers un effacement du visage, de l’identification. Ce n’est plus une personne mais une silhouette et parfois, seulement des ombres et des lumières qui sont offerts au regard.
Clémence, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
J’ai commencé à travailler jeune. J’ai eu la chance d’apprendre sur le terrain avec des personnes qui m’ont transmis leur savoir. Dans les années 2000, dans le milieu de la télévision avec la société de production de Nova et d’Ariel Wizman, j’ai travaillé pour l’équipe de Claire Parnet, philosophe et Philippe Denard, producteur. En parallèle, je me cherchais en tant qu’artiste. J’écrivais, je réfléchissais. Vers 2006, j’ai étudié l’analyse cinématographique à l’Université Sorbonne Nouvelle. Je me suis lancée dans un travail photographique en travaillant avec des artistes comme Nan Goldin, et d’autres moins connus… J’ai mené un workshop avec les adolescents de la ville de Bagneux et réalisé un atelier photographique pour les femmes de la prison des Baumettes à Marseille. Je travaille depuis quelques années maintenant avec la galeriste Laure Roynette à Paris.
A quoi ressemblent vos journées ?
Je cherche beaucoup avant de passer à l’acte. Je réfléchis. J’essaye de définir les problèmes et de trouver leurs résolutions. J’essaye, je jette, je recommence. Je me bats avec moi même, avec mes idées, mes émotions, mes sensations, ce que j’essaye de transmettre dans mon art.
Vous vivez actuellement à Bruxelles.
Je suis partie vivre à Bruxelles cette année car je souhaitais connaître une ville en dehors de Paris où je vis depuis 20 ans. Je voulais m’ouvrir à d’autres modes de vies, à une autre culture. Cette ville mixe des états d’esprits modernes et nouveaux. Il y a une sorte de lâcher prise et une envie de faire bouger le monde. C’est aussi un croisement entre Berlin, les pays scandinaves et Paris. Je prends des cours dans des ateliers d’écritures contemporaines, un projet mené par Gilles Collard à l’école de La Cambre en collaboration avec Nathalie Skowronek, Mathias Enard, Gérard Berreby… J’écris un roman sur ma façon de voir l’art, le monde d’aujourd’hui, et je pose la question de l’utopie.

Qu’est-ce que photographier pour vous ?
J’aime la photographie car c’est un art à la fois d’instinct et de technique. La technique est passionnante car infinie et permet d’éclairer, d’approfondir des problématiques et de mettre en perspective des esthétiques. J’aime beaucoup le tirage qui est l’aboutissement d’un rêve, d’une vision. Pour moi, la photographie c’est le croisement entre mon imaginaire et le réel. Il y a aussi quelque chose de brut dans sa réception qui me permet de m’adresser à tous, de ne pas être hermétique.
Est-ce qu’on peut parler d’autobiographie dans votre travail ?
Parfois, je ne sais plus ce qui est de l’ordre la fiction ou du réel. Tout est emmêlés, c’est ça qui m’intéresse. C’est une matière faite d’invention, d’imagination, d’idées et de l’intrusion du réel. Je parle plutôt de documentaire fiction. C’est à dire que je change ma vie pour créer, et je puise aussi dans ma vie. J’essaye de briser les frontières. Je trouve une liberté dans l’art que j’aimerai avoir dans la vie. Je ne comprends pas, par exemple, pourquoi on ne pourrait pas danser, chanter ou se vêtir étrangement dans la vie de tous les jours. De plus, je cherche à inventer une existence à l’encontre les faux semblants et de l’injustice.
Votre discours photographique parle aux femmes, est-ce volontaire ?
Je parle à tout le monde. Je ne choisis pas mon public. D’ailleurs, j’ai toujours ouvert mon travail à des mondes différents en le présentant aussi bien dans des lieux alternatifs que dans des lieux dédiés au monde de l’art. A mon sens, ma réflexion dépasse très largement la question du genre. Elle est plutôt une réflexion sur l’enfermement dans des schémas, sur la liberté de manière générale, à travers l’exemple de situations problématiques que je traverse dans la vie et que je retranscris grâce à des autoportraits ou des portraits d’autres femmes. Certains hommes ont pu réagir de façon très agressive vis-à-vis de mon travail. Ils ont pu se sentir attaqués. Je ne veux attaquer personne, je cherche seulement à sortir des sentiers battus et de la souffrance. Mon travail va dans ce sens mais soulève souvent la violence et la questionne.
Quel est votre rapport au féminisme ? Te considères-tu comme féministe ?
Je ne connaissais pas le féminisme en commençant la photographie et, naturellement, j’ai été féministe. J’ai été une fille qui a beaucoup souffert de ma position de femme. Très jeune, je ressemblais à une femme. J’ai rencontré beaucoup de violences car j’étais une fille libre. C’était très mal vu dans les années 90. Virginie Despentes et son King King théorie ont changé le cours de mon existence. J’ai compris que je n’étais pas la seule à mal vivre ma féminité et que les rapports hommes-femmes étaient en plein bouleversement. Je défends avant tout la solidarité entre femmes. Il y a beaucoup de préjugés, de peurs qui perdurent. Je me sens féministe car je cherche à trouver ma façon d’être une femme, une fille, et d’aimer.
Quel message cherchez-vous à faire passer à travers vos photos ?
Je cherche un réveil. Réveiller ma propre conscience et celles des autres. Je déteste les clichés, et les enfermements quelqu’ils soient. Je cherche aussi à briser les solitudes et les peurs individuelles. Je pense que l’union fait la force et que nous en avons besoin pour aider le monde à aller mieux.
Pouvez-vous nous parler de votre processus créatif ?
Je travaille de façon empirique. Je laisse les images, les pensées circuler. Je touche à tout : au dessin, à l’écriture à la photographie… Ensuite, j’organise, je construis. Je m’appuie sur la philosophie, l’histoire de l’art et la littérature. Je m’inspire directement des problématiques que je rencontre dans ma vie intime, ce qu’il y a dans ma tête, comment avancer à l’intérieur d’un monde qui m’interroge.
Quelles sont les personnes qui vous inspirent ? Y a t-il des rencontres qui ont changé votre vie ?
En ce moment, je pense beaucoup à Leonora Carrington et Max Ernst pour cette joie qui émane d’eux. Alix Cléo Roubaud a aussi été un personnage très marquant pour moi. Le fil entre le rire et la mélancolie me plait, une insolence gracieuse.
Il vous arrive, pour certains projets, d’utiliser l’écriture et la photographie, pourquoi ? Quel est votre lien à la littérature ? Y-at-il un livre en particulier qui fut pour vous une révélation ?
Je trouve que l’écriture permet d’éclairer le sens, de le préciser face à l’image qui tire le sens vers l’abstrait, plus malléable dans son interprétation. Je cherche toujours à raconter une histoire. Raconter, pour moi, c’est agir. C’est la possibilité de détourner la tristesse en joie, de stopper des mécanismes inconscients et de sortir des stéréotypes. C’est aussi prendre de la distance. La création est un moyen d’en mettre une. Je trouve dangereux de vivre sans comprendre. Beaucoup d’écrits m’ont marqué, ceux de Faulkner, de Joyce, de Beckett, de Molière, de Shakespeare, les scénarios de Cassavetes.
On retrouve souvent le thème de la construction de l’identité féminine dans votre travail, pouvez-vous nous en dire plus ?
J’ai été élevée dans un milieu marginal. Je me suis toujours sentie marginale, comme beaucoup à mon avis. Pour moi, chaque être est un mystère. Il est unique. Je crois que c’est en assumant notre étrangeté et en respectant celles des autres que le monde devient serein et riche. J’ai longtemps cherché à me créer des repères, finalement mes repères les plus fondamentaux sont intérieurs. Ce sont les penseurs et les artistes qui m’ont permis de mieux m’assumer. Quand j’écoute l’Abécédaire de Deleuze, ou que je découvre Essai d’intoxication volontaire, je me sens moins vulnérable à l’angoisse, aux peurs.
Quel rapport entretenez-vous avec votre corps, votre image, étant donné qu’il est aussi votre outil de travail.
Mon corps est un outil de récit au même titre que l’image et l’écriture. Il est un matériau. Je lui donne, dans ma vie, une place importante. Le corps n’a plus sa place dans la société actuelle. J’ai envie de mouvement, de corps en diagonales. Comme Claude Parent, je pense que le mouvement est la base de l’acte révolutionnaire. Nous devons bouger différemment si nous voulons penser différemment. Pour moi, le corps est sacré. Il est notre lieu, notre espace.
Quels sont tes projets à venir ?
Je travaille sur Les filles laser. Les filles laser est un conte que j’invente autour de super héroïnes. Nous avons des pouvoirs dont nous n’avons pas conscience. Comment nous sommes reliés malgré une sensation d’isolement. C’est un travail, à la fois photographique et littéraire, porte sur l’énergie de la liberté.
À suivre
Les Dîners-cinéma d’Eleonora Galasso