Leona Rose, cover-girl de notre Volume 18
L'art comme liberté. En parcourant le monde, Leona Rose explore le nuancier de sa créativité. Ses fresques sensationnelles à l’allégresse contagieuse habillent les murs de villages par-delà les continents comme les intérieurs de luxueuses institutions. Mains dans la main avec les jeunes générations, elle s’autorise les rêves multicolores afin d’honorer la petite fille inventive qu’elle a toujours été. Une artiste dont les mots sont comme des talismans à garder précieusement, pour ne jamais oublier de quelle joie on se chauffe.
             
					Leona, plus qu’une reconversion, l’art semble avoir dessiné le chemin de votre émancipation.
Absolument, l’émancipation de la première de la classe. Jusqu’à ce que je m’écoute et que je prenne des billets d’avion pour Bali, mon itinéraire n’était rien d’autre que le ref let des volontés et de l’expectative des autres, enfin de mes parents surtout au départ. Enfant, être la bonne élève, la gamine scolaire et érudite était mon rôle attribué et par la force de cette dynamique, j’ai construit mon identité autour de ça jusqu’à faire une école de commerce et travailler durant 6 ans dans une foncière immobilière. À l’image des bonnes notes qui gratifient l’effort, mon travail était récompensé d’un bon salaire que je ne tardais jamais à dépenser tant il fallait que je comble le vide. J’étais une ombre, celle de moi-même. J’étais au service de tout le monde sauf de mon intention profonde. Mon corps me faisait comprendre – par le biais de crises d’angoisse sévères – que je devais m’évader de cette peau de chagrin qui n’était pas vraiment la mienne et l’art m’a permis cette mue salvatrice.


Vous le disiez, il y a un peu plus de 8 ans, vous vous envoliez à Bali en quête d’alignement après avoir obtenu une rupture conventionnelle. Qu’avez-vous trouvé là-bas ? Quelle graine ce voyage quelque peu initiatique a-t-il permis de planter ?
Encore aujourd’hui, je ne saurais expliquer pourquoi j’ai voulu partir à Bali particulièrement et comment l’envie d’y réaliser une fresque avec des enfants m’est soudainement apparue comme une évidence. C’était un appel, un magnétisme, un besoin de connexion qui me semblait incarner le sens dont ma vie manquait terriblement. Je me sentais tellement inutile dans mon ancienne carrière qu’il me fallait quelque chose de diamétralement opposé pour briser le cycle. Après avoir pris mes billets, j’ai envoyé des mails à des orphelinats afin de réaliser une fresque dans l’un d’entre eux et une structure m’a répondu positivement. Je suis restée 4 jours là-bas et j’ai peint une fresque pour la première fois de ma vie sans trop me poser de questions. C’était un peu une renaissance. En parallèle, j’ai découvert un quotidien où les gens ne payent pas 800 euros de loyer pour 20 mètres carrés. Ils ne travaillent pas de 8 h à 22 h comme des fous et ne sont pas constamment dans le contre-la-montre. J’ai rencontré des photographes qui vivaient en colocation pour 150-200 euros par mois et j’ai pris conscience du conditionnement dans lequel je m’étais piégée malgré moi durant mes 6 années de vie active. Ce déclic m’a permis de prendre du recul. Même si je ne devenais pas artiste à temps plein, une existence où je faisais du volontariat dans les ONG autour du monde était possible. Une chose était déjà certaine, je voulais me sentir utile et contribuer.
Assez naturellement , ce voyage à Bali semble avoir constitué une première étape dans votre cheminement artistique.
Oui, ce fut un point de départ autant qu’une ligne d’arrivée. Après ça, j’ai su que c’était la fin de ma carrière dans l’immobilier. Aucun retour n’était possible. De plus, ce mode de vie que je venais de découvrir, et de spontanément adorer, m’a confirmé que je n’étais pas adaptée au salariat notamment en bureau. Moi je suis incapable de ne pas me donner à fond, je fais tout à 100 %. Ce qui rendait parfois les choses très compliquées quand il s’agissait de travailler en équipe, car au terme des deux premiers jours de la semaine, j’avais abattu toutes mes tâches et je me retrouvais à attendre ou faire semblant pour ne pas créer de tensions quant au rythme des autres. Il était devenu urgent pour moi de retrouver ma liberté d’agir et de travailler à mon bonheur selon mes conditions.


Et c’est ce que l’art vous a autorisé ! D’ailleurs, vous aimez dire qu’embrasser votre créativité, c’est libérer l’imagination et les rêves de votre enfant intérieur. Parlez-nous de ce que vous ressentez quand vous créez, avez-vous l’impression de connecter toutes les versions de vous-même ? Dont la petite fille que vous étiez et qui, peut-être aurait voulu exprimer sa créativité plus tôt ?
Quand je peins, je redeviens une enfant. Je retrouve cette sensation pure de créer en pleine présence, à l’instinct, comme le font les enfants. Naturellement, cet état de joie créative qui s’alimente lui-même me connecte avec mon unicité créative, ma singularité artistique. Plus que le résultat, je me régale du processus créatif, car aujourd’hui ce qui me gratifie, c’est le plaisir que je ressens. Je n’attends pas après une validation ou un objectif : mon curseur c’est la joie de peindre et de partager cette expérience, avec les enfants notamment.
L’art en bandoulière, vous avez pris à rebours toutes les pensées limitantes qui ont conditionné votre liberté par le passé.
Oui, j’ai tout déconstruit. La peur de décevoir, la peur de la sanction, la crainte de l’échec, le fantasme pécuniaire… il a fallu que je réalise un gros travail pour me reconnecter à ma spontanéité, à un désir de vivre, finalement. Grâce à cet art instinctif qui me nourrit par sa pratique, je ne suis plus la gamine qui se tait et s’assoit sagement durant des heures dans une salle de classe. J’ai réussi à désarmer l’anxiété qui étouffait mon inventivité. Il faut comprendre que ressentir du plaisir, kiffer, c’est transformatif et une fois que l’on en fait un mode de vie, on devient la meilleure amie que l’on aurait aimé avoir ! Alors oui, j’ai commencé à peindre des fresques et ça ne me faisait pas gagner ma vie. J’ai vécu avec un chômage de 1 200 euros quelques mois et sans économies, mais j’étais enfin alignée avec mon étincelle créative et manger des pâtes ne m’importait pas trop. Je ne ressentais plus le besoin de consommer frénétiquement, car j’avais enfin de la consistance. J’étais libre et apaisée. Par ailleurs, la pratique du yoga m’a beaucoup aidée à consolider mon bien-être.
Avez-vous fait des rencontres qui ont marqué votre évolution artistique ?
Oui, absolument. Je pense notamment à Alice et Gaby, les propriétaires du riad marocain Le Petit Yasmine qui sont devenus mes meilleurs amis. Au départ, je les ai rencontrés pour réaliser une fresque dans ce merveilleux lieu d’hospitalité et c’est une belle histoire d’amitié qui a débuté. Je vais les voir tous les ans et j’échange beaucoup avec Alice, qui a énormément de goût. Son regard est un merveilleux conseiller. C’est très précieux, d’autant que leur influence sur Instagram a permis à mon travail de véritablement décoller !
Ma rencontre avec Célia B, styliste espagnole que j’adore, a également été déterminante dans mon parcours. Nos univers sont si complémentaires que nous nous apprêtons à lancer notre troisième collection ensemble. C’est précieux de nourrir ce lien qui dépasse le cadre professionnel pour devenir une véritable aventure humaine. D’ailleurs, je n’ai aucun intermédiaire quand il s’agit de prendre contact ou de concrétiser un rendez-vous, l’échange est trop important pour moi. Aussi, je trouve que les collaborations artistiques ont la vertu de stimuler la créativité, car elles comportent nécessairement des contraintes. Il s’agit de respecter l’identité de la maison avec laquelle tu co-crées tout en écrivant une histoire nouvelle, riche de ta propre signature. C’est un challenge que j’adore, car il questionne mes réflexes et ma zone de confort.


Bali, le Maroc, l’Espagne, comment le voyage inspire-t-il votre créativité Leona ?
Voyager est une façon pour moi de partir à la rencontre du monde, des gens qui y vivent et des lieux qu’il recèle. Je suis toujours très inspirée par le Mexique où je me rends souvent. J’aime m’immerger dans la culture locale, dans les traditions, lancer des discussions avec les personnes de mon entourage, écouter les musiques qui résonnent un peu partout et explorer les différents paysages en prenant toujours beaucoup de photos. La nature, la végétation, la jungle notamment sont particulièrement nourrissantes pour moi. L’inconnu et l’« hors-de-mon-commun » sont des trésors qui stimulent mon monde imaginaire.
Vos périples colorent-ils également votre palette chromatique ?
Mon nuancier est un véritable arc-en-ciel. Les couleurs que j’aime le plus sont des coloris qui me font beaucoup penser à l’Inde. Quand j’y suis allée, j’avais l’impression d’être à la maison. Rose, violet , jaune, orange et vert sont les couleurs vers lesquelles je vais le plus instinctivement . Un peu moins le bleu.
Comment s’organise votre travail artistique sur place, notamment quand vous réalisez des fresques avec des enfants ? Quelle est votre roadmap ?
De manière générale, je prends contact avec des ONG et des orphelinats pour leur expliquer ma démarche. Je prends mes billets d’avion et je me rends sur place avec mes pinceaux et mes peintures. Il s’agit le plus souvent d’une initiative bénévole durant laquelle je vis sur place quelques jours, puis je commence à peindre la fresque en compagnie des enfants qui m’entourent. Souvent, ils sont issus de milieux très précaires et défavorisés. Ils vivent des choses très difficiles et sont facilement livrés à eux mêmes. Alors, ces fresques sont également un moyen de les faire participer à quelque chose, de les occuper en convoquant la joie universelle des couleurs. C’est également une forme d’apprentissage. Dessiner est une manière accessible de s’évader et de stimuler son imaginaire avec peu de moyens. Je sais qu’ils ne pourront/voudront pas tous devenir artistes, mais j’aime me dire que je sème des graines du possible dans leur esprit.
C’est important pour vous, d’incarner le visage des possibles ? Le poids des représentations plurielles est si décisif.
Moi, j’aurais aimé que quelqu’un dise à la petite fille que j’étais qu’elle était autorisée à s’imaginer artiste et à le devenir. Finalement, les exemples que j’avais étaient masculins et très peu féminins. Or sans référence ni balise, il est difficile de s’inventer une voie d’autant plus quand notre entourage projette ses peurs sur nous. J’aurais aimé être entendue et comprise et pas simplement assignée à remplir un contrat. Alors oui, j’ai à cœur de montrer aux enfants qu’ils ont un libre arbitre et qu’ils sont légitimes dans leurs aspirations, quoi que le monde – parfois hostile – des adultes en dise. 

Comment composez-vous ces fresques, Leona ?
C’est toujours très intuitif. Je les conçois comme un puzzle de couleurs que j’assemble au fil de mon instinct. Je commence en bas à droite de mon brouillon, puis la composition se construit à la faveur des symboles que j’adore comme la forme du serpent par exemple. La trame de ma création dépendra de mon émotion et de mon humeur sur l’instant. La fresque pourra également être enrichie par ce que je viens de vivre au gré des rencontres de la veille, notamment. Je me rends très disponible à l’énergie des lieux et je transmets par le pinceau cette énergie qui me traverse. J’aime inscrire mes fresques dans des lieux qui ont une histoire et un destin. J’aime venir complémenter l’âme de l’existant, apporter ma pierre colorée à l’édifice. Aussi, quand je passe du croquis au mur, je prends en compte les dimensions, perspectives et volumes pour que le résultat soit vivant.
Pourriez-vous nous en dire plus sur la Casa Leona Rose, ce lieu qui abrite votre univers ?
Oui, il s’agit de mon appartement marseillais, entièrement décoré par mes soins et avec ma patte. Au coeur de la Casa Leona Rose, on retrouve les papiers peints que j’imagine dans le cadre de ma marque de décoration Guru del Sol. Sur 100 mètres carrés, j’ai pu m’amuser à scénographier ma maison idéale. Entre le lieu d’hospitalité et le showroom, l’adresse compile mes différentes collaborations tout en étant disponible à la location de courte durée.


Vous évoquiez votre marque de papier peint . Quelles étaient vos envies au départ de ce projet qui touche à la décoration d’intérieur ?
Grâce aux papiers peints, je mets un pied dans l’univers du design et j’entre également chez les gens. Je reçois beaucoup de demandes pour des fresques, mais je ne peux pas tout le temps donner suite. Les papiers peints s’inscrivent alors dans la continuité de ce plébiscite. Les gens peuvent maintenant avoir une pièce Leona Rose chez eux. C’est très stimulant pour moi, car cela galvanise ma liberté créative. Ça change des collaborations. D’ailleurs, des nouveautés vont arriver bientôt sous forme de drops, à suivre !
Retrouvez l’intégralité de cet échange avec Leona Rose dans le Volume 18 de notre revue Les Confettis.
À suivre
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