Talents

Maison Guillemette, la revanche du sequin

Pépite du prêt-à-porter féminin français, Maison Guillemette célèbre une décennie de plumes et de paillettes à travers des pièces minutieusement cousues qui honorent l’artisanat de mode. Sa fondatrice, Guillemette Bataille, dévoile ainsi que suivre le fil de son intuition fait parfois l’étoffe d’une maison qui dure.

Le 8 décembre 2025

maison-guillemette-les-confettis©-ginnie-line-darcq

Avant tout, Guillemette, félicitations ! Votre griffe a passé le cap des dix ans il y a peu. Qu’est-ce qui explique selon vous que Maison Guillemette triomphe de la tendance ?
Merci beaucoup. Honnêtement, je ne les ai pas trop vues passer ces dix années et peut-être que l’une des explications à la longévité de la marque réside dans cette impression de constante continuité. Chaque fois qu’un projet fonctionnait, assez naturellement, on lançait le suivant. Quand en 2018, un beau jour de mai, des clientes ont fait la queue dans l’escalier car l’appartement, qui était notre showroom/boutique ne pouvait pas toutes les accueillir d’un coup, alors il était logique pour moi de prospecter pour un second espace de vente. À la genèse de Maison Guillemette, je n’avais pas prévu d’ouvrir deux boutiques, j’ai suivi le chemin qui s’est dessiné au fur et à mesure. Je ne me suis jamais sentie dirigée par un objectif de croissance absolue, en revanche j’ai toujours veillé à la rentabilité de l’entreprise et  j’ai toujours voulu enchanter le vestiaire des mes clientes, ça oui. Ainsi, l’écoute, l’attention et la considération de notre équipe à taille humaine envers notre clientèle nous ont permis de grandir au plus proche des désirs de cette dernière. Je suis heureuse que Maison Guillemette se soit développée à son rythme grâce au bouche-à-oreille prodigué par des femmes satisfaites et fidèles. Je suis consciente que 10 ans, ce n’est pas un anniversaire anodin et j’en suis reconnaissante. 

Comme l’on peut capter l’air du temps, vous avez écouté le murmure de votre clientèle. 
Oui, et cette philosophie a offert à Maison Guillemette son rythme, à contre-courant d’un secteur textile où toute entreprise doit être très rentable, très vite. Certains de nos produits en rupture de stock sont alors proposés en pré-commande  minimisant ainsi les risques, tout en satisfaisant les clientes qui n’ont pas obtenu la pièce qu’elle souhaitait lors du lancement. De plus, notre process a toujours intégré un récapitulatif journalier qui remonte chaque soir de notre équipe en boutique. Au-delà des indicateurs de ventes, c’est-à-dire les chiffres, les filles nous communiquent comment telle ou telle couleur a été appréciée ce jour-là, quel tissu a été le plus approché, etc. Finalement, c’est aussi cet empirisme qui fait notre clairvoyance.

Vous parliez de l’ouverture de vos boutiques, quelles ont été les différentes étapes ayant déterminé la trajectoire de Maison Guillemette ? Aujourd’hui, vous êtes une maison de prêt-à-porter, mais au départ, vous confectionniez des accessoires, n’est-ce pas ?
Au tout début, Maison Guillemette était effectivement une marque d’accessoires hyper confidentielle, hyper niche. Mon produit phare à l’époque était la couronne de fleurs, véritable incontournable il y a dix ans. Toute fin 2016, je ressens l’envie de proposer autre chose et d’exprimer ma créativité à travers une pièce iconique. Je dessine alors mon premier petit haut noir à la dimension multifonctions, car il pouvait être orné d’une broche ou d’un accessoire à choisir. Je pensais que j’en vendrais 15 – ce qui représentait déjà beaucoup pour moi – et j’en ai vendu 50 en 48 h. À ce moment-là, j’ai compris que ma clientèle m’attendait à un virage, celui de l’accessoire singulier au prêt-à-porter signature. À la suite de mes études de commerce, j’avais eu la chance de travailler au département prêt-à-porter chez Chanel mais je n’étais pas styliste pour autant. J’ai toujours eu une appétence pour la mode, mais c’est véritablement l’engouement autour de ce top noir qui m’a offert une légitimité que je me refusais peut-être à ce moment-là. En 2017, la gamme était composée de 2 robes et 3 blouses différentes. C’était restreint, mais les clientes nous suivaient. Instagram offrait encore la possibilité de sortir du lot aussi… Sans l’application, peut-être que le petit haut noir n’aurait pas trouvé son public si rapidement, je dois l’avouer. Naturellement, sans précipitation, nous avons élargi la collection jusqu’à nous installer en 2018 dans un appartement du 9ème arrondissement parisien, rue de la Victoire. On recevait sur rendez-vous et on prenait les commandes comme ça jusqu’à ce qu’il faille ouvrir une boutique pour accueillir tout le monde ! Il se trouve que le local de la cour de l’immeuble se libérait et nous l’avons investi en 2019. Les planètes s’étaient une fois de plus alignées. En 2022, la boutique du Marais est venue compléter notre rayonnement.

Dans les choix de croissance, que vous avez voulue organique, comme dans la direction artistique plutôt « couture », vous semblez vous démarquer par une certaine détermination à être libre. N’est-ce pas cette audace qui explique également un plébiscite toujours plus grand ?
Oui, c’est certain. Il y a une forme de revendication joyeuse, d’expression de soi quand on porte une mode à la fantaisie assumée, notamment quand la tendance est au style minimaliste. J’ai assumé mon goût pour le tweed, les plumes et les paillettes alors que l’heure était à l’avènement du minimalisme et cette différence fut peut-être ma chance. Peu de créatrices proposaient cela et je suis devenue une référence en matière de pièces fortes par la force des choses. J’ai répondu à une envie en suivant la mienne. 

C’est d’autant plus malin, car on peut y voir une forme de résilience. Les pièces Maison Guillemette subliment le dressing d’inspiration classique chic ou quiet luxury plutôt que de lui faire concurrence. Vous offrez un supplément d’âme au vestiaire contemporain par ce fait, et incarnez alors la marque émotionnelle par excellence. 
C’est vrai, c’est assez unique et notre unicité fait notre force. Parce que fortes et incarnées, nos pièces cohabitent parfaitement avec un sweat, une chemise et un jean du quotidien. C’est une approche plus complémentaire que conquérante, dans laquelle on se retrouve. Finalement, à la manière de l’art qui enchante l’ordinaire, Maison Guillemette est une célébration par le vêtement. Les pièces à sequins, à plumes, à broderies, mettent du sentiments dans des looks intemporels et, plus que ça, elles incarnent parfois le sentiment. En effet, une grande proportion de nos clientes trouvent dans nos boutiques des tenues dans lesquelles elles s’apprêtent à vivre des moments marquants comme un anniversaire ou un mariage. De même, certaines touristes étrangères craquent pour nos pièces qui sont pour elles, un souvenir enchanté de Paris. Le tissu d’exception comme une mécanique du cœur. 

C’est drôle, vous semblez vous amuser du risque, et c’est rafraîchissant ! 
Je ne sais pas si je m’en amuse, mais je crois en l’adaptabilité. Je crois que c’est un état d’esprit, une philosophie globale que l’on retrouve inévitablement dans notre esthétique. Peut-être que je dois ça au fait d’avoir grandi dans une famille de restaurateurs, avec des parents qui avait choisi d’avoir 4 enfants tout en étant entrepreneurs. Transformer la contrainte en opportunité rythme le quotidien d’une entreprise qui s’adapte, et permet de se focaliser sur le champ des possibles à réaliser. C’est une façon de penser qui aide également à relativiser durant les coups durs, parce qu’il peut y en avoir, même quand le business fonctionne. Si j’avais fait une école de mode, peut-être que j’aurais fait certaines choses avant et plus tôt, mais ma formation m’a rendue résolument structurée et opérationnelle. Ce n’est pas un hasard si nous lançons parfois des produits en précommande.  Cela favorise l’expérimentation et le test tout en limitant les risques liés au coût d’une production invendue. J’aime me dire : « On verra, au pire on se plante et on recommence. »

Maison Guillemette se démarque aussi par son processus de fabrication maîtrisé, au sein de son propre atelier de fabrication à Montreuil. Encore un exemple d’indépendance et d’audace !
Effectivement, ouvrir notre propre atelier a représenté une étape déterminante du développement de notre marque. C’est l’une des seules décisions où même mes proches se sentaient inquiets. Il faut se rappeler qu’à l’époque de cette initiative, on sortait à peine du premier confinement. Là encore, certaines choses se sont alignées et j’ai voulu donner du sens aux événements. Nous travaillions alors avec un atelier qui était tenu par Sylvie, dont la retraite approchait. Au sortir du premier confinement, elle m’annonce qu’elle s’arrête… deux mois plus tard ! C’était un peu la panique, d’autant que les commandes de nos clientes affluaient, en raison de l’enthousiasme  du déconfinement. Et pour ne rien arranger, l’autre atelier avec lequel on collaborait était accaparé par la confection de masques. J’ai saisi l’opportunité qui s’offrait alors à moi en rappelant Sylvie pour lui demander si nous étions capables de nous lancer dans la confection en autosuffisance. La chance qu’on a eue, c’est que non seulement Sylvie nous a revendu une partie de son matériel, mais  elle nous a aussi accompagnés vers cette nouvelle autonomie. Nous avons pu bénéficier d’une véritable transmission de savoir-faire, entre générations et entre femmes. Pendant un an, dans l’immeuble de la rue de la Victoire, nous avons coupé et cousu les pièces de nos collections au fil des commandes. Il a fallu structurer l’équipe pour que la confection se déroule sans accrocs, mais une fois cette énergie opérationnelle dépensée, c’était lancé. La suite de l’histoire, c’est la délocalisation de l’atelier à Montreuil, dans un espace fonctionnel de 300 m2 qui accueille également les postes de presse et repassage.

Comment s’organise votre quotidien professionnel ? Comment équilibrez-vous moments de création et gestion/logistique d’entreprise ?
Très bonne question ! (Rires) Ce qui est immuable, c’est l’organisation de mon planning une semaine à l’avance. N’ayant pas d’associé, j’organise mes rendez-vous d’une semaine sur l’autre de manière à avoir une perspective fixe à court terme. Je sais quand je dois parler à telle personne de l’équipe, quand je fais une session d’essayages, etc. Cette structuration me rend disponible aux élans de créativité, car j’ai toujours une certaine clarté de prévision. C’est primordial, d’autant plus qu’aujourd’hui je crée également pour la griffe Hircus. 

Une transition toute trouvée pour aborder cette nouvelle aventure créative ! En effet, vous prenez la direction artistique de la maison de cachemire Hircus. Racontez-nous votre histoire avec cette marque et ce que promet cette collaboration à long terme.  
J’ai rencontré mon mari, cofondateur de la maison Hircus, grâce à Maison Guillemette il y a un peu plus de 10 ans. Avec Louis-Erard, on venait de créer nos marques et on a grandi chacun en étant entrepreneur. Nos bureaux ont quasiment toujours été à la même adresse, pas dans la même pièce, mais dans le même immeuble de la rue de la Victoire. Ainsi, nous avons partagé énormément de notre quotidien professionnel. Quand l’associé de Louis-Erard lui a confié son souhait de s’orienter vers d’autres projets, nous avons saisi l’occasion de travailler ensemble, car nous en avions envie depuis longtemps. C’était intense, car nous venions d’avoir un enfant et il a fallu ajouter la parentalité de ce nouveau projet commun dans l’agenda ! (Rires) Je me serais bien épargnée la lourdeur administrative d’une démarche de rachat de parts, mais, effectivement, j’ai rejoint Hircus à ce moment-là pour reprendre la direction artistique de la marque et ses collections. Ce n’est pas une décision que l’on a prise à la légère. Il y a encore quelques années, nous n’aurions pas eu la maturité nécessaire pour concrétiser un tel projet et, potentiellement, l’équilibre de notre couple en aurait pâti. 

Comment ce nouveau rôle de créatrice auprès de la griffe de cachemires nourrit-il votre inspiration ? Comment cela complète-t-il votre palette d’intentions ?
Ce qui est particulièrement intéressant pour moi, c’est d’apporter ma patte tout en respectant l’ADN d’Hircus. Préserver les valeurs de la griffe et sublimer l’histoire que les garçons ont créées pendant ces dix dernières années par une signature artistique tout en complémentarité. De plus, la marque propose un vestiaire masculin, contrairement à Maison Guillemette, donc c’est un exercice différent et très stimulant. L’un de mes challenges créatifs aujourd’hui est cette gymnastique d’organisation entre Maison Guillemette – qui peut produire des prototypes d’une semaine à l’autre grâce à la flexibilité offerte par notre atelier à Montreuil – et le processus créatif d’Hircus – qui répond à un agenda annualisé plus conventionnel, automne-hiver et printemps-été. 

Aujourd’hui, nous avons rassemblé les équipes dans les mêmes bureaux et nous avons eu la chance de le faire avec des personnes dont on savait les fonctionnements et les personnalités compatibles. Cette union de nos deux entités offre une véritable force de complémentarité et ça dynamise ce nouveau chapitre. De belles choses sont à venir.

Retrouvez l’intégralité de cet échange avec Dorothée Sartorius, fondatrice de Bilboquet dans le Volume 18 de notre revue Les Confettis.

Crédit Photo en Une © Ginnie-Line Darcq