Meet My Mama, bouillon de cultures
Quand les mamas de la start-up Meet My Mama cuisinent, la générosité est au menu. Ces femmes réfugiées et immigrées passent les clichés à la moulinette ! Rencontre avec Donia Souad Amamra, Loubna Ksibi et Youssef Oudhaman, les instigateurs de cette idée de food !
Vous vous connaissez tous depuis longtemps ?
Loubna : Donia et moi, on se connaît depuis trois ans et Youssef, on le connaît depuis un an et demi. Donia et moi faisions un stage, ensemble, dans un cabinet de conseil. De cette rencontre est né un projet appelé à l’époque Mama cooking qui avait la même démarche que Meet My Mama, c’est-à-dire révéler les talents culinaires des femmes immigrées souvent peu conscientes du potentiel et du savoir qu’elles détiennent. Youssef nous a découverts sur les réseaux sociaux…
Youssef : Oui, moi, à l’époque, je montais un projet qui s’appelait Mama’s Kitchen et qui était en tous points similaire au projet de Loubna et Donia. J’ai donc eu envie de les contacter afin de leur faire part de mon projet et de mon envie de se réunir pour maximiser le succès de notre démarche commune. C’était en octobre 2016, nous avons eu un vrai coup de foudre sur un quai de la gare Saint-Lazare (rires). On a lancé Meet My Mama peu de temps après notre première rencontre.
Pourquoi ce projet ? Pourquoi révéler le talent des femmes immigrées par la cuisine ?
Loubna : Je crois qu’il y avait une sorte d’évidence qui vient de nos propres parcours. On a grandi auprès de ces femmes et nous avons de nombreux beaux et bons souvenirs. Alors, on s’est dit : « Pourquoi ne sont-elles pas cheffes ? Pourquoi plus de 90 % des chefs sont des hommes ? » Finalement, quand on interroge ces chefs masculins, ils répondent tous que leur inspiration vient de leur mère ou de leur grand-mère. On voulait donc leur rendre hommage. Ce n’est pas logique pour nous que ces femmes ne soient pas reconnues et qu’elles ne puissent pas vivre de leurs talents. Ma famille et moi avons poussé ma tante à se lancer dans la pâtisserie car c’était vraiment une vocation chez elle. Elle s’est donc lancée, mais a dû arrêter car il y avait tout l’administratif à gérer : le local, la comptabilité, etc. Tout cela a empiété sur sa réelle passion : la pâtisserie. Cet exemple illustre la volonté de nombreuses femmes qui, finalement, sont freinées par manque de structures et de solutions d’accompagnement. Et puis, d’autres obstacles entrent dans l’équation comme la barrière de la langue ou le fait qu’elles sont femmes donc souvent dans l’autocensure. Avec Donia, cela nous tenait à cœur de faire quelque chose pour ces femmes-là, les réfugiées. On ne voulait pas créer une association parce que cela ne nous ressemblait pas et on ne trouvait pas cela assez impactant. J’ai fait un master innovation, réseaux et numérique, et donc ce qui m’intéressait, c’est l’entrepreneuriat numérique et la manière dont la puissance des réseaux digitaux peut porter un message positif et apporter une valeur d’engagement.
Donia : Moi, je suis quelqu’un qui adore manger. Le film indien The Lunch Box réalisé par Ritesh Batra m’a beaucoup inspirée. Il montre que de nombreuses femmes au foyer aimeraient avoir d’autres perspectives. J’ai une petite punchline qui répond bien à cette idée : « La plupart du temps on choisit d’être femme au foyer mais on ne choisit pas de le rester. » Meet My Mama aspire à aider les femmes au foyer à se créer un nouveau dynamisme via la cuisine, tout en restant auprès de leur famille.
Et vous Youssef, quel a été le déclic amenant à la création du projet ?
Youssef : C’est ma maman, tout simplement. C’est l’illustration parfaite de pourquoi Meet My Mama existe. Elle cuisine divinement bien et possède des recettes transmises de mère en fille mais elle s’est toujours autocensurée. Même aujourd’hui, avec notre projet, elle ne mesure pas à quel point ce qu’elle possède est magique. Il y a un vrai patrimoine culturel qui se cache dans ses mains et qui va au-delà de l’assiette car ça chemine de la fourche à la fourchette. Comme ma mère, toutes les « mamas » de Meet My Mama savent cultiver, savent récolter, savent transformer un produit et décliner un menu. C’est une richesse incroyable et innée. Je pense qu’elle a toujours voulu vivre de ça, mais elle s’en est empêchée pour toutes les raisons citées par Loubna. L’accès à un métier de bouche nécessite un passage par des formations à la rigueur militaire, d’autant plus qu’il y avait pendant un temps la barrière de la langue. C’est malheureux parce qu’il y avait quelque chose à faire. Quand je ramenais mes Tupperware en cours, je me faisais dévaliser littéralement par mes potes (rires) ! Le plus cool c’est qu’ils me posaient des questions sur elle et sur sa manière de cuisiner, j’ai compris qu’il y avait un intérêt global à creuser. Lier les gens par la cuisine, ça me paraissait une idée qui tombait sous le sens et qui mieux que la mama pour être l’ambassadrice d’une cuisine qui reconnecte des mondes différents ?
Il y avait donc une volonté de revaloriser la transmission ?
Loubna : Oui, et puis on voulait aussi mettre en avant l’unicité des recettes et des connaissances de chaque mama. Je me rappelle que les plats de maman me manquaient tellement quand j’ai quitté la maison et c’était impossible de les retrouver dans Paris. Dans la culture des pays du Sud, la nourriture rassemble et alimente toute la famille, or en France, on a cette impression que lorsqu’il y en a pour un, il y en a pour un. On voulait que Meet My Mama ait cette composante de partage dans son ADN.
Youssef : Aussi, il était nécessaire pour nous de créer des rencontres, de recréer une interaction humaine, incarnées autour de la cuisine. Aujourd’hui la restauration a sociologiquement perdu en partage et en connexion. On est dans une logique de rendement et on ne s’attarde plus sur la véritable convivialité que la cuisine inspire. Ces codes ne nous conviennent plus aujourd’hui. On veut retrouver la notion de lien, d’ouverture d’esprit et de découverte. Il faut que se retrouver autour d’un repas se vive de nouveau comme une expérience humaine, surtout en France, le pays de la bonne bouffe quoi ! Meet My Mama est un concept typiquement français dans l’idée.
Toutes ces femmes sont réfugiées ?
Donia : Non, c’est plutôt 50 % de femmes réfugiées et 50 % de femmes immigrées de première, deuxième voire troisième génération.
Youssef : Ce qui est génial, c’est que ces femmes font maintenant bosser leurs maris quand elles ont des prestations à organiser ! Cela devient presque une entreprise familiale finalement et c’est ce qu’on doit mesurer quand vous nous demandez combien de personnes travaillent avec nous. Souvent, avant une grosse prestation, les mamas se font aider de leurs maris, leurs amies ou leurs enfants qui mettent la main à la pâte au sens propre comme figuré. On est d’ailleurs très fiers de ça car c’est de l’empowerment pur, ça transforme les foyers. Tout à coup, ces femmes deviennent le prisme par lequel la vie familiale s’articule et c’est génial car tous les regards changent. Leurs maris et enfants jouent le jeu à fond. On est aussi très fiers de ça.
De quels pays viennent vos mamas ?
Loubna : On a trente mamas et pratiquement autant d’horizons culinaires différents. Nous avons une mama sri- lankaise qui fait très bien les spécialités malaisiennes par exemple car elle a été réfugiée en Malaisie pendant dix ans. On a une mama chinoise, deux mamas irakiennes, une mama syrienne et une mama du Kurdistan. Venant d’Afrique, nous avons des mamas du Sénégal, du Mali, de la Côte d’Ivoire, du Maroc et de l’Algérie aussi. On a une mama portugaise, une mauricienne, une péruvienne. Et plein d’autres (rires) !
Quels sont leurs parcours ?
Loubna : Il y a des mamas qui, dans leurs pays d’origine, avaient un restaurant, mais on a aussi des profils totalement différents. Une femme syrienne qui était prothésiste dentaire ou une femme sri-lankaise qui était comptable. Une fois en France, elles se sont dit qu’il leur fallait trouver une activité qu’elles pourraient exercer rapidement en se servant de leur savoir-faire naturel. La cuisine est une évidence pour beaucoup de ces femmes qui ont une famille à nourrir au quotidien. Dans les faits, il n’y a pas d’amatrices, même chez les plus jeunes. Elles s’y connaissent bien, bien qu’elles n’aient pas forcément un parcours dans la restauration. Aussi devenir autoentrepreneuse, grâce à Meet My Mama, leur permet de vivre de leur talent. D’ailleurs elles savent cuisiner pour de grosses réceptions en général. Ce sont elles qui cuisinaient lors du mariage de leurs amis ou pour la famille par exemple. Elles n’ont pas peur des lourdes prestations.
Vous avez finalement revisité l’expérience traiteur ?
Youssef : Oui, sans le faire exprès d’ailleurs. Les traiteurs ont des codes très traditionnels, très normés et nous sommes arrivés avec un regard complètement extérieur pour apporter de la convivialité et des saveurs du monde. Les petits-fours sont français et bien chez Meet My Mama, on les appelle les mamardises et ce sont des spécialités culinaires d’autres continents présentées telles des « mignardises ». On apporte aussi de l’expérience et de l’interaction parce que la mama qui a créé le repas vient sur l’événement et s’exprime sur sa cuisine.
C’est une manière pour les entreprises de se responsabiliser ?
Youssef : Oui, on appelle ça de l’empowerment d’entreprise. Elles se posent beaucoup de questions sur leurs impacts, leurs valeurs, sur le futur ainsi que sur leur attractivité. Et les mamas répondent à ces questions en créant du lien entre les différents collaborateurs par des ateliers culinaires, de mixologie, etc. C’est une manière de renforcer la cohésion d’entreprise.
Comment les entreprises vous ont-elles découverts au tout début ?
Donia : On avait lancé un concept pour faire connaître Meet My Mama qui a beaucoup attiré la curiosité et séduit. On faisait des « cooking » éphémères durant lesquels des grands chefs laissaient les clés de leur restaurant à une mama les soirs ou les dimanches. Ce sont ces events – auxquels on pouvait s’inscrire sur Facebook – qui ont été la vitrine de notre démarche. On a fait plusieurs brunchs à thème de cette manière : camerounais, syrien, sri-lankais, etc. Avec le bouche à oreille, les entreprises n’ont pas tardé à faire appel à nous.
De quelle manière l’entreprise choisit-elle son excursion culinaire ?
Loubna : Chaque client remplit un questionnaire qui nous permet de déterminer ses envies et besoins. Cela va du nombre de personnes aux restrictions alimentaires. On propose à la suite de ça des « voyages » différents. Pour l’Asie, c’est « china street-food », on a aussi « safari en Afrique de l’Ouest », etc. On aime créer des voyages en résonnance avec l’histoire des pays en question.
Vous avez créé la Mama Academy, pouvez- vous nous en dire plus ?
Donia : C’est la première académie qui forme et outille toutes les femmes qui souhaitent vivre de leur passion pour la cuisine. Elles sont donc formées pour développer leurs « art skills » en cuisine, cela va des cours de cuisine ou de dressage à des enseignements sur l’hygiène. En parallèle, elles ont la possibilité de s’intégrer dans trois parcours de formation : un parcours entrepreneur avec des modules de gestion, un parcours chef étoilé avec immersion en restaurant et un parcours leader Meet My Mama qui forme les mamas au management des autres mamas. Aujourd’hui ce sont des fondations qui financent la Mama Academy.
Quelle est votre ambition aujourd’hui ?
Donia : C’est véritablement de révéler tous les talents culinaires qui existent en France. On a 500 000 femmes en France qui ont un talent pour la cuisine et qui souhaitent le développer. On aimerait être le levier révélateur. On aimerait aussi devenir la référence « cuisine du monde » en entreprise.
Youssef : On n’a pas vocation à rester. On veut vraiment résoudre le problème du gâchis de talent. Toutes les démarches que l’on met en place, comme la Mama Academy, sont élaborées avec une portée d’empowerment et non d’insertion. On ne veut pas apprendre un métier à des personnes qui ne se reconnaissent pas dedans. On fonctionne par passion. C’est le dénominateur commun des mamas. Nous voulons que nos mamas soient leur propre patron et par la même occasion des modèles. C’est essentiel.
Et… vous goûtez ?
Loubna : Bien sûr ! (rires) C’est la meilleure partie du job ! Quand on découvre une nouvelle mama, sa cuisine est l’illustration de ce nouvel univers inconnu pour nous et goûter à sa nourriture nous permet de comprendre l’envergure de son potentiel. On adore. C’est juste génial. De cette manière, on découvre des parcours de vie, des expériences et des patrimoines culinaires extraordinaires.
_
Retrouvez cet entretien dans son intégralité sur Les Confettis Volume 4.
Photos ©François Rouzioux
À suivre
Zuri, des objets en béton !