Talents

Tekla Evelina Severin, artiste coloriste vibrante

Artiste, designer et coloriste suédoise, Tekla Evelina Severin explore le design d’intérieur et la photographie à travers une perspective vivement pigmentée. Grâce à son studio de création multidisciplinaire, les volumes vierges deviennent des espaces chamarrés et le quotidien se voit scénographié. Reconnue internationalement, avec des expositions mondiales et de nombreuses récompenses, Tekla précède la tendance, l’audace comme conseillère avisée.

Le 12 février 2024

tekla-les-confettis-magazine

Tekla, vous êtes coloriste, designer, photographe mais aussi scénographe et l’on reconnaît votre signature esthétique à vos associations chromatiques franches et contrastées. Avez-vous toujours su que vous vous épanouiriez dans le domaine artistique ?
En effet, ma motivation a toujours été là, vibrante. Et cette fascination pour la couleur, pour le visuel, trouve probablement son origine lorsque, vers 8 ou 9 ans, ma vue a commencé à sérieusement baisser. Tout ce qui était visuel est devenu si précieux à mes yeux. La couleur, c’est le plus puissant outil de communication visuelle, non ? Alors elle est devenue ma compagne de route assez tôt. Bien sûr, au fil des années, cela a pris des formes diverses. Moi, je crois dur comme fer à la pollinisation croisée entre les disciplines. Si je n’avais pas été architecte d’intérieur, si je n’avais pas travaillé dans ce domaine pendant des années, je n’aurais pas cette perspective photographique avec ces vues droites, les élévations, les plans, tout ça… Et si je n’avais pas fait ce voyage photographique, jamais je ne serais revenue à des scénographies et des intérieurs graphiques et visuels comme aujourd’hui. Tout est lié, tout dans la vie – pas seulement les chemins professionnels, évidemment – vous emmène là où vous êtes à un moment donné avec son lot de bon et de mauvais.

tekla-les-confettis-revue
©Teklan x Gabriel Soderbladh for Heymat

Comment décririez-vous votre univers et quel regard portez-vous sur votre parcours jusqu’ici ?
Mon univers, c’est un tourbillon en constante évolution. Actuellement, je plonge dans plus de contrastes que jamais, avant, je jouais beaucoup avec les tons sur tons, les monochromes. Je suis Balance, donc pour moi, tout est une question d’équilibre. Équilibrer le style graphique (ou même la rigidité, si on veut mettre un mot dessus), doser l’audace et l’harmonie. Mon inspiration se trouve à la croisée des perceptions en deux et trois dimensions, les aires de jeux, les labyrinthes… Et mon rêve, c’est d’insuffler une touche surréaliste qui parle à tous les sens dans chaque projet, dans chaque intérieur.

Tekla-creation-design-les-confettis
©Teklan x Terzo Piano for Ogeborg

Vous avez débuté professionnellement dans l’architecture d’intérieur et le design de mobilier. Par quels enchainements d’événements êtes-vous arrivée à créer le métier que vous exercez aujourd’hui ?
Alors, c’est toute une histoire. Je suis devenue photographe à un moment où j’étais cette designer d’intérieur, employée et, entre nous, qui s’ennuyait pas mal. J’en avais assez du style scandinave. Beige par-ci, gris par-là, et du blanc partout, c’était tellement… conformiste ! Alors, je me suis lancée dans l’expérimentation d’autres couleurs, textures, matériaux que nous avions dans la bibliothèque de matériaux du bureau d’architecture. J’ai commencé à les capturer, d’abord avec un smartphone, puis avec un appareil photo plein format, pour saisir l’architecture et les couleurs à travers le monde. Je me suis sentie si libre en me tournant vers la photographie, sans avoir à me soucier de la fonction ou de la construction. Juste me concentrer sur les éléments visuels et être aussi libre, abstraite ou sauvage que je le voulais. Des années plus tard, après avoir parcouru le globe, je suis revenue au design d’intérieur, en passant d’abord par la conception de décors puis par le design d’expositions et d’intérieurs. Je peux y intégrer mon langage visuel, cette langue que j’ai créée et affinée au fil du temps.

tekla-louis-poulsen-les-confettis-magazine
©Teklan for Louis Poulsen

D’ou vous viennent cet amour et ce talent pour les harmonies chromatiques ?
Ah, d’où ça vient, je ne saurais trop vous dire. Ça a toujours été là, ce genre de chose me parlait, vous voyez ? Quant au talent, franchement, je pense qu’il vient avec l’expérience. J’ai passé beaucoup de temps seule quand j’étais petite (étant l’unique enfant dans une famille un peu, disons, dysfonctionnelle). Mon monde imaginaire, c’était mon refuge, quelque chose que je pouvais contrôler, développer, où je pouvais m’évader.

On qualifie votre approche de « minimalisme chaleureux » pouvez-vous nous dire quelle interprétation vous en faites ?
Chacun a son interprétation mais je dois avouer que j’apprécie cette qualification. Je pense que ça vient du fait que je suive mon intuition. Le fait que je sois ma propre muse ajoute certainement une sorte d’humanité ou d’émotion qui rompt avec les codes parfois très froids et figés d’un certain minimalisme. Jouer avec une palette de formes, de couleurs et de matériaux apporte une dimension supplémentaire, essentielle, vivante.

Vous êtes Suédoise, un pays berceau du design. En quoi cela influence-t-il vos goûts ?
Ce pays est génial, mais vous savez, je me suis toujours sentie un peu décalée en Suède. C’est pourquoi je travaille beaucoup avec d’autres pays, comme le Danemark, l’Espagne, l’Italie, m’orientant vers un langage plus vivant. Il y a un adage qui dit que « nul n’est prophète en son pays », et parfois, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a une part de vérité dans cela, surtout au regard de mon expérience et de ma trajectoire dans le monde de l’art.

tekla-stilleben-les-confettis-magazine
©Teklan / Stylisme with Clara Dayet

Vous collaborez aussi avec différentes marques de design, Tekla x Montana Furniture par exemple. Comment votre processus créatif a-t-il évolué ?
Justement, à travers l’expérience, je dirais, et l’audace d’explorer de nouvelles directions, de nouvelles couleurs, de nouveaux contrastes. C’est toujours un peu délicat, car un client vous embauche sur la base de ce que vous avez fait avant, mais personne ne veut se répéter, pas même en cas de succès. Un de mes clients les plus fidèles est Montana Furniture dont la devise est de « faire de la place pour la personnalité », et ça colle vraiment bien avec ma propre approche. En matière de design d’intérieur, il n’y a pas de règles universelles. Tout est relatif et personnel.

À quelles difficultés faites-vous face dans votre quotidien d’artiste indépendante ?
Le défi est souvent de rester fidèle à moi-même, de maintenir cette sincérité. En tant qu’indépendante, il s’agit aussi de savoir mettre des limites, de ne pas s’épuiser dans le travail et de réussir à vivre un peu en dehors. Ce n’est pas toujours simple pour moi. Et puis, il y a les négociations, avec des gens qui, parfois, attendent beaucoup de vous, parfois peut-être trop.

Tekla-les-confettis-magazine
©Teklan for Toniton

Quels sont les artistes ou personnes qui vous inspirent particulièrement ?
Oh ! Ils sont nombreux… Nathalie du Pasquier, India Mahdavi, Karin Mamma Andersson, pour n’en citer que quelques-uns. Mais la vérité, c’est que l’inspiration peut survenir n’importe où, dans une sublime galerie ou dans un petit détail aperçu dans une ruelle perdue.

Vous donnez l’impression d’être particulièrement indépendante. D’autant que vous avez réussi à imposer une écriture à la frontière de plusieurs disciplines artistiques (scénographie, couleur, photo, stylisme). Quels conseils donneriez- vous aux femmes qui souhaiteraient se lancer dans une carrière artistique ?
Faites-vous confiance et restez ouvertes d’esprit. Je crois sincèrement que c’est quand j’ai abandonné mes objectifs rigides et que j’ai suivi ma passion que j’ai vraiment trouvé ma voie.

Retrouvez l’intégralité de cette rencontre avec Tekla dans la dernière revue Les Confettis.