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Delphine Remy-Boutang pour le networking au féminin

Après avoir été Directrice social media chez IBM au Royaume-Uni, Dephine Remy-Boutang, convaincue du potentiel féministe des réseaux sociaux, décide

Le 13 novembre 2017

Après avoir été Directrice social media chez IBM au Royaume-Uni, Dephine Remy-Boutang, convaincue du potentiel féministe des réseaux sociaux, décide de s’engager pour la cause féminine en lançant la Journée de la Femme Digitale. Forte de cette initiative réussie, elle monte The Bureau, une agence de conseil en stratégie digitale où les femmes prennent la parole et networkent. Rencontre.

Delphine, parlez-nous de vos activités ?
Notre activité aujourd’hui, c’est un triptyque. Nous sommes une agence spécialisée dans les réseaux sociaux mais aussi un club de networking au féminin, pour que les gens se rencontrent et partagent en direct. Et c’est aussi un événement : La journée de la femme digitale qui a lieu tous les ans en mars depuis maintenant 6 ans. Avec ce concept complet, on fait le pari d’un monde meilleur et surtout on a la volonté d’exprimer notre vision du 21ème siècle qui sera féminin ou ne sera pas. On considère le tournant numérique, les nouvelles technologies comme un accélérateur historique pour la parité. Il faut prendre la chose du coté optimiste. Effectivement, l’intelligence artificielle va secouer le monde du travail mais c’est une bonne nouvelle pour l’humanité car on va pouvoir s’inscrire dans la créativité et l’émotion. Et ça tombe bien, car les femmes sont instigatrices de la créativité, on crée la vie !

Le lieu et l’événement sont des accompagnateurs d’ambitions féminines, l’agence aussi ?
On a des clients divers et variés mais on fait ultra-attention à promouvoir la valeur féminine. Nous faisons particulièrement attention à ce que la femme soit toujours représentée de façon positive. Il est juste hors de question que la femme soit objet ou encore que les éléments de langage soient discriminants. Ce sont les valeurs piliers des campagnes que l’on réalise.

Quelle est votre appréciation du Networking ?
On veut sortir de cette boucle finalement masculine de l’entreprenariat où les entreprises ont été crées par des hommes pour des hommes. De façon conventionnelle, le Networking se fait souvent le soir autour de rugby et de football or la femme là dedans, soit elle s’adapte soit elle renonce. On propose une nouvelle façon de penser le Networking. Les plages horaires ne sont pas nécessairement le soir par exemple. Parfois notre Networking tourne autour du yoga, de la méditation, de la beauté. On a un beauty bar notamment. On organise des « Talks » une fois par mois. Le dernier était porté sur les grandes tendances d’avenir en collaboration avec Usbek et Rica. Le prochain sera sur « le jargon du code ».

Photo Delphine Rémy Boutang

 

Il y a donc toujours cette dimension digitale ?
Complètement ! Le club a pour mission de promouvoir l’innovation au féminin et de féminiser les entreprises. Notre levier étant les nouvelles technologies et le numérique. Nous avons 200 membres et le club a aujourd’hui deux ans. La première année, la communauté était nomade. On s’invitait dans des lieux partenaires afin de créer finalement un nid pour tous ces talents féminins peu connus du grand public et que l’on voulait absolument faire sortir de l’ombre. Innovation, partage et bienveillance sont les valeurs du club. Je crois que la problématique de la rivalité entre les femmes est d’ailleurs à régler pour que justement on puisse avancer tous ensemble d’un même pas.

Quels sont les combats à mener d’ailleurs dans le milieu pour améliorer la considération des femmes ?
Je pense que les femmes qui réussissent doivent aider celles qui peinent à y arriver. Je pense que c’est un devoir. Les femmes doivent aussi être encouragées à prendre la parole. Parfois la rivalité féminine entrave la prise de parole à cause des jalousies. Il faut donc casser ce schéma. Le pouvoir ça se prend, tout court. Il faut mettre en avant le fait qu’une femme qui réussit, c’est génial pour toutes les autres. Cela démultiplie les capacités de réussite de toutes les femmes qui sont dans son environnement. Je pense à cette valeur américaine qui est le « give back » qui est un vrai fondement dans la construction d’un business bienveillant et humain. La gratitude et la bienveillance sont des combats à mener encore et encore. Il faut aussi encourager le tissu de sororité entre femmes. Souvent les hommes recommandent d’autres hommes et les portes s’ouvrent ainsi. Nous les femmes, nous ne recommandons pas assez d’autres femmes. C’est fou, on est 51% de l’humanité et on n’est pas assez représentées. Dans le secteur du futur, celui du numérique, les femmes ne sont représentées qu’à 28%. Les femmes à la tête de start-up en France, c’est 10%. Et 2% des femmes entreprennent dans le milieu du sport. Il y a urgence pour qu’en 2024, les JO soient accueillis par un pays où les femmes ont une voix dans le milieu sportif. Nous n’avons que 7 ans devant nous. Aujourd’hui une des meilleures armes pour le combat de l’égalité et de l’équilibre homme-femme sont les réseaux sociaux. On le voit avec la puissance des hashtags notamment dans la révélation des accusations envers Harvey Weinstein. Il n’y a pas à se demander si c’est bien ou non, les femmes ont pris la parole pour dénoncer des choses que nous les femmes nous nous sommes mises à « accepter » par fatigue et résignation.

L’intelligence artificielle, est-ce aussi un domaine de défis pour l’égalité homme-femme ?
Absolument ! Aujourd’hui tous les ingénieurs à la genèse des programmes d’intelligence artificielle sont des hommes. Or cela empêche finalement la femme d’avoir son empreinte dans les défis futurs. Les hommes construisent avec monopole les fondements de l’intelligence artificielle en utilisant en plus des noms féminins pour leurs programmes. Ce qui veut dire que potentiellement, le monde de demain se dessine toujours selon le paradigme de la femme assistante, hôtesse d’accueil, au service de l’homme où l’idée d’Eric Zemmour d’un pouvoir intrinsèquement viril fait la loi. C’est aussi pour ça que l’on a crée le prix Margaret. Après les César, les Oscar, on a voulu les Margaret en honneur à Margaret Hamilton, scientifique de la Nasa, codeuse qui a contribué au premier pas de l’Homme sur la Lune. Il faut qu’il y ait une rééducation. Il faut absolument que les femmes et les hommes sachent que le langage informatique, le code a été inventé par une femme, Ada Lovelace. La femme a sa place partout, parfois il faut qu’elle la prenne, parfois il faut « seulement » qu’elle la garde.

Quel est le thème de la prochaine journée de la femme digitale ?
C’est « For a better world ». Le féminisme découle de l’humanisme. On veut mettre en relief le temps de l’action, celui après la dénonciation, celui de la reconstruction d’un monde où l’on avance d’un pas. On veut donc que cette journée soit placée sous le signe de l’inspiration, de la motivation, du déclic créateur. Chaque speaker aura ainsi son propre verbe d’action « écrire », « façonner », etc…pour faire le tour des perspectives.

C’est vrai que « l’inspiration » est un peu la baseline de tous en ce moment…
Oui, c’est bien que les gens puissent puiser l’inspiration où ils le veulent notamment sur les réseaux sociaux. Ça passe aussi par la création d’un panel infini de rôles modèles pour insister sur le fait qu’il n’y a pas qu’une réussite mais de nombreuses perspectives de succès et d’accomplissement. C’est nous qui devons définir les critères de notre réussite. Je ne comprends pas pourquoi aujourd’hui on priorise la réussite de la levée de fonds d’investissement pour définir le succès d’une start-up, cela voudrait dire que seul l’argent est significatif ? Rien que le mot « levée » me choque. Il y a des tas de sujets portés notamment par des femmes qui ne sont pas éligibles à la levée de fonds. Ce sont des sujets de fond souvent sociétaux, cela voudrait dire que leur idée n’a pas de valeur ni d’intérêt parce qu’elle n’apparaît pas comme « bancable » ? C’est hyper réducteur. On ne devrait plus l’accepter.

Comment managez-vous votre entreprise ?
Moi qui ai bossé en Angleterre pendant 15 ans, j’ai vraiment voulu instaurer le rythme que j’avais là bas. C’est-à-dire que l’on commençait tôt et l’on finissait tôt car je pense que c’est important d’avoir une vie après. Le présentéisme est incarné par les hommes. C’est eux qui sont là entre 18h et 20h alors que finalement les femmes vont plus souvent chercher les enfants à l’école, font le dîner et s’empêchent le Networking par exemple. C’est pour cette raison que l’on fait nos networkings à 14h. On essaye de reconstruire un système pour les femmes. On essaye aussi un maximum d’aborder les problématiques de façon transversale et de ne pas se la jouer « solo » dans notre équipe de 10 personnes.

Vous pensez que votre envie d’action pour les femmes est d’autant plus vive que vous avez un peu de culture anglo-saxonne dans votre background ?
L’éducation anglo-saxonne est très orale. Chez eux, il y a cette expression « peu importe comment on écrit, l’important c’est ce qu’on écrit ». Il y a cette valorisation de l’expression de la femme comme l’homme d’ailleurs. Je trouve que nous les français, on ne prend pas assez la parole. C’est pour cela que nous avons besoin de nouveaux rôles modèles au féminin car on ne peut pas être ce que l’on a pas vu.

Merci à Delphine pour son temps et RDV en mars pour lajournéedelafemmedigitale.fr

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Photo d’ouverture © Francis Amiand