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Laure de Sagazan, créatrice habile

Laure de Sagazan, créatrice de la marque éponyme de robes de mariée devenue référence, suit le fil de ses envies. Dernière en date, le lancement d’une griffe de vêtements pour enfants inspirée par la tradition des trousseaux : Détours. Rencontre.

Le 21 mars 2021

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Laure, dernièrement, votre griffe de robes de mariée confectionnées en France fête ses dix ans en s’imposant comme une référence sur le marché. Comment cette décennie a-t-elle changé votre vie et fait évoluer votre regard ? 

C’est vrai, pourtant les choses ont évolué de manière fluide. C’était une vraie volonté de prendre le temps de grandir, d’étoffer nos équipes sans se précipiter et en gardant toujours en tête que nous sommes une entreprise familiale dont la vocation est de proposer de la qualité, de la responsabilité. Ce sont des valeurs qui guident notre entreprise également dans sa structure et sa construction. Après dix ans, je garde un regard frais, curieux et je continue d’explorer au quotidien auprès de mes équipes, dans la proximité. En réalité, je suis toujours dans l’action, alors je n’ai pas l’espace pour regarder en arrière et constater le chemin parcouru. Je suis évidemment très fière de nous, tenir dix ans et notamment dans une période comme celle-là, ce n’est pas rien ! Mais je vis au présent, comme mon entreprise, et j’ai toujours, au présent, ce même émerveillement qu’au début. D’ailleurs, je pense que la stabilité de Laure de Sagazan vient de son évolution sans rupture radicale, sans changement de direction. Cette continuité fortifie l’entreprise.

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© Laure de Sagazan

En dix ans, êtes-vous parvenue aux objectifs que vous vous étiez fixée ? Tant en matière de création que de production ou de transmission des valeurs…

Absolument. Nous avions fait dès le début le pari du « made in France » et dix ans plus tard, nous continuons de tout confectionner dans notre atelier parisien. Pour moi, qui travaillais dans le textile auparavant, il était inconcevable d’imaginer des robes de mariée produites à l’autre bout du monde. C’est un produit trop important pour avoir une multiplicité d’intermédiaires et ne pas assister à chaque étape de création. C’est quelque chose de primordial pour nous et nous sommes heureux d’être des ambassadeurs d’un artisanat français, toujours après toutes ces années.

Concernant les valeurs que nous transmettons, je crois qu’être récompensés pour notre savoir-faire par le label « Entreprise du Patrimoine Vivant », l’an dernier, nous a tous beaucoup touchés. Cela marque un aboutissement et c’est un témoignage de qualité supplémentaire. Je suis donc très satisfaite de notre développement durant ces 10 dernières années. D’autant plus que nous avons réalisé ça dans la transparence et dans le respect de notre équipe. Humainement, je suis également ravie des liens qui se sont tissés depuis nos débuts.

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© Laure de Sagazan

Cette année est également décisive pour vous car, en parallèle de votre marque Laure de Sagazan, vous lancez votre nouveau projet : il s’agit de l’élaboration d’une ligne de vêtements pour enfants sous le nom de Détours. Quel a été le cheminement qui vous a menée à cette nouvelle aventure entrepreneuriale ? Ressentiez-vous une frustration ?

L’idée de Détours revenait comme les saisons. J’avais dans un carnet de nombreux croquis de vêtements pour enfants qui ne semblaient pas exister sur le marché, ou très peu. Mes inspirations étaient rétro et poétiques, j’avais cette idée de vêtements dans l’esprit d’un « trousseau » que l’on se transmet entre générations et je trouvais que c’était particulièrement dans l’air du temps. Et puis, en parallèle, nous étions témoins de l’envie de nos clientes de ne pas s’arrêter à la robe de mariée. C’est-à-dire qu’elles appréciaient tellement l’univers et les valeurs de notre maison qu’elles nous sollicitaient pour que l’on diversifie notre gamme afin de leur permettre de continuer à acheter chez nous. Nous avons alors réalisé des collaborations orientées « kids » avec les marques Jacadi et Monoprix, et les retours ne se sont pas fait attendre. Nos clientes étaient sous le charme de nos créations capsules. Certaines nous disaient avoir acheté l’intégralité de la collection ou une dizaine de pièces pour leurs enfants !

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© Claire Guarry

Et ce constat-là s’est croisé avec mes croquis gardés dans un coin, d’autant plus qu’à l’époque je venais de devenir maman. Je me plongeais donc plus logiquement dans l’univers de l’habillement pour enfants. C’est pour cela que je ne dirais pas qu’il s’agissait d’une frustration, mais d’un moyen de poursuivre l’aventure Laure de Sagazan, dans la continuité de mes aspirations et de celles de nos clientes. Il est vrai que c’est cohérent, après ou avant le mariage, il y a souvent des projets de parentalité donc imaginer une marque de vêtements pour enfants en parallèle de collections de robes de mariée, c’est finalement naturel. Nous parlons ainsi à la famille, à la tribu, et non plus seulement aux parents.

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© Claire Guarry

Détours vous permet également d’explorer une autre créativité. Réaliser des robes de mariée et des ensembles pour enfants, c’est très différent !

Complètement ! Avec du recul, maintenant qu’il s’agit de mon quotidien, je mesure cette joie de pouvoir travailler avec d’autres matières comme le drap de laine par exemple. Ce sont des tissus que je n’avais pas touché depuis dix ans car la confection de robes de mariée ne l’encourage pas. Je peux également composer des tenues par le biais de la couleur. C’est un vrai plaisir ! J’adore évidemment travailler avec le blanc ou l’ivoire, mais grâce à Détours la styliste en moi ressent une liberté supplémentaire dans sa créativité.

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© Claire Guarry

Quel arbitrage vous a permis de décider que l’exploration créative d’un nouvel horizon était plus important à vos yeux que le risque encouru à monter un nouveau business ? 

Nous avons fait les choses intelligemment. Évidemment, nous ne nous doutions pas qu’une pandémie viendrait bouleverser l’ordre du monde quand on a imaginé Détours, car c’était il y a plus d’un an. Mais au-delà de ça, nous arrivions à un moment de notre parcours où nous pouvions nous permettre de prendre des risques mesurés. Nous avions les reins assez solides pour assumer le lancement d’un nouveau projet, sans que cela ne mette en danger notre entreprise. Nous avions déjà la structure, déjà la styliste (moi), nous avions déjà les modélistes au sein de notre atelier et notre réseau de distribution restait numérique. Cela n’engageait donc pas d’embauche ou de location d’espace. La prise de risque était donc minime face à cette envie d’entamer un nouveau chapitre de notre histoire, dans le prolongement de notre offre. Nous sommes vraiment partis du principe que nous pouvions arrêter à tout moment si, commercialement, ça ne marchait pas.

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© Claire Guarry

L’univers de l’enfant est un marché très concurrentiel désormais car particulièrement florissant. Comment vous positionnez-vous par rapport à cela ? Comment parvenez-vous à dessiner une identité unique à Détours ?

Au même titre que mes robes de mariée, les pièces Détours ont une identité forte car elles sont le fruit d’une temporalité de création longue et mûrie. Je donne vraiment le temps à mes croquis d’évoluer, d’être repris, d’être améliorés. Je fais le choix de prendre le temps, finalement. Je dessine sans contrainte de deadline en laissant émerger mes idées, quand elles décident que c’est le moment !

En ce qui concerne la concurrence, je crois que l’on se différencie par notre situation. En effet, nous avons déjà toute une communauté de clientes pour nos robes de mariée qui sont également celles qui réclament les pièces Détours. Nous pouvons nous appuyer sur elles pour faire notre place. Puis, je crois que nous avons une grande confiance en notre projet. Ces petits vêtements d’esprit rétro qui évoquent les linges d’enfance que nos grands-mères gardaient dans des malles… C’est quelque chose qui me touche et qui fédère des souvenirs communs à de nombreuses générations. Nous entendons souvent que nous avons dépoussiéré la robe de mariée, nous souhaitons suivre le même chemin avec ces pièces à l’allure vintage, mais conçues pour les petits d’aujourd’hui ! C’est vrai que le marché se ramifie, il est vrai également que nos produits représentent un coût car ils sont ornés et de très belle facture, mais nous avons voulu être le plus juste possible au niveau du prix. Nous sommes engagés dans la préservation d’un artisanat et cela en toute transparence. C’est une démarche à laquelle les clients sont d’ailleurs de plus en plus réceptifs.

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© Claire Guarry

Peut-on dire que vous revendiquez une identité « slow » ? 

Je pense que oui. Je ne sais pas si c’est du slow, ou simplement du bon sens, mais c’est notamment une des raisons pour lesquelles je suis ravie de réaliser des robes de mariée, car je peux pousser mon modèle et ses finitions le plus loin possible. Dans le prêt-à-porter, il n’y a que peu de temps consacré à l’exploration car il faut que le produit parte rapidement en production, c’est à la chaîne. Au contraire, c’est un réel plaisir de regarder une de mes robes de mariée en me disant : « je n’aurais pas pu la perfectionner davantage. » Qu’il s’agisse de Laure de Sagazan ou de Détours, nous n’avons pas pour ambition de devenir des mastodontes. Nous avons de l’affection pour notre structure à taille humaine qui produit des petites séries avec respect et dans une temporalité raisonnée. Nous ne voulons pas que ça change.

Avec Détours, vous imaginez un circuit de consommation responsable en deux temps. En effet, vous proposez de racheter à vos clients les vêtements pour enfants qu’ils ont acquis chez vous, une fois que leur enfant est trop grand pour les porter. Vous les revalorisez alors en atelier avant de les proposer sur votre boutique en ligne de seconde main. Pourquoi ce choix ? Vous a-t-il été inspiré par des plateformes comme Vinted

Je voulais absolument être cohérente avec moi-même. J’ai deux garçons, j’adore les habiller et je suis, à ce titre, consommatrice de seconde main, dans une volonté écologique. J’utilise donc des « marketplace » comme Vinted ou By Bambou pour les habiller. Cela me paraissait donc évident de pouvoir proposer à mes clientes ce que moi, je recherche. L’idée était donc d’élaborer des vêtements d’assez bonne qualité pour les racheter moi-même après leur première vie, afin de les revaloriser si besoin et de les proposer remisés dans un second temps sur notre site. Cette initiative prouve, premièrement, que nos produits sont assez qualitatifs pour tenir dans le temps et deuxièmement qu’il est possible de créer une mode fondée sur la transmission. La seconde main a aussi le mérite de rendre les pièces plus accessibles.

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© Claire Guarry

Gérer une entreprise est déjà un sacré challenge, désormais vous êtes responsable de deux entités. Comment vous organisez-vous pour mener à bien vos différentes missions ? 

D’abord, il est essentiel de dire que je ne suis pas seule aux manettes. Je travaille en binôme avec Édouard, mon mari. Il gère la direction de l’entreprise, la distribution mais également la dimension financière. Ce sont des domaines que je ne maîtrise absolument pas et sans lui, les choses seraient bien compliquées pour moi ! Ainsi, nos missions sont bien délimitées. L’administratif, la direction et la stratégie sont entre les mains d’Édouard quand, moi, je m’occupe de la direction artistique et créative jusque dans la communication. Nous nous faisons confiance, nous ne regardons pas par-dessus l’épaule de l’autre et nous avançons avec le bon sens comme référence. D’ailleurs, nous avons deux espaces de travail distincts pour signifier matériellement notre indépendance. Ce qui n’empêche pas que nous discutions très souvent évidemment. Puis, nous avons également la chance de pouvoir nous reposer sur une équipe très bienveillante et motivée.

L’essentiel de vos journées se déroule donc au sein de l’atelier aux côtés de votre équipe ? 

Tout à fait, nous sommes là pratiquement tous les jours et nous participons à la vie de l’atelier au même titre que notre équipe. Quand les cartons sont livrés, nous les déchargeons tous ensemble (rires).

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© Claire Guarry

Comme beaucoup de femmes, vous êtes entrepreneure et maman, comment alliez-vous tous les impératifs de votre quotidien ? 

Il y a toujours un moment de flottement, post-accouchement, où j’ai le sentiment de mettre du temps à retrouver l’équilibre sur mon fil de funambule. Je suis une véritable maman poule et je pense que si je n’étais pas parvenue à retrouver un équilibre qui me convenait entre famille et travail, j’aurais pu tout lâcher pour m’occuper de mes enfants. Cela ne m’aurait pas posé de problème car je considère ça trop important. J’ai donc pris les devants en libérant mon mercredi pour le dédier à mes enfants. C’est un arbitrage que j’ai la chance de pouvoir faire grâce à Édouard. Je peux prendre mon mercredi, je peux partir avant 18 h parce qu’il reste travailler justement. Évidemment, le travail prend beaucoup de place mais je me donne le droit de couper une fois que je suis à la maison. Édouard sait que je fais des efforts considérables pour lutter au quotidien contre mon naturel anxieux et assumer ma position de cheffe d’entreprise sans succomber au stress, alors il n’est pas question que je sois branchée au boulot soirs et week-end !

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© Claire Guarry

Vous ne vous imaginiez pas cheffe d’entreprise avant de le devenir ? 

Non, pas du tout. Je suis une personne très indépendante, assez solitaire et naturellement angoissée. Si Édouard n’avait pas été mon acolyte, cette transition de salariée à cheffe d’entreprise n’aurait pas pu se faire. Gérer une entreprise, incarner une image de marque, s’investir dans le bonheur de ses salariés, ce sont de grandes responsabilités. Cela demande une solidité pour laquelle je fais des efforts chaque jour.

Quelles sont vos ambitions à court terme et à long terme pour vos marques ? 

Je ne saurais même pas vous dire quelles sont nos ambitions car nous ne sommes pas du genre à nous faire des briefs et des business plan longs comme le bras. Du côté de Laure de Sagazan, nous allons naturellement continuer d’explorer des territoires qui manifestent un intérêt pour nos robes, comme la Corée ou encore l’Amérique du Sud. Et concernant Détours, nous nous laissons un peu porter. Nous verrons où le vent nous mène. Pourquoi pas ouvrir quelques pop-up stores afin que les clientes puissent avoir des interactions et toucher le produit. Ce qui est certain, c’est que nous allons prendre notre temps.

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© Claire Guarry

Retrouvez l’intégralité de cet échange avec Laure de Sagazan dans le Volume 10 des Confettis, disponible sur notre boutique.

www.detours-lauredesagazan.fr