Cécile Miraglio, fondatrice de la maison d’édition Les Petits Zécolos
Au travers de ses petites encyclopédies entomologiques à lire en famille, Cécile Miraglio dirige les projecteurs sur des êtres minuscules à l’importance capitale. Abeille, libellule mais également bousier, tous les insectes méritent la considération des petits et grands. Une rencontre chez l'autrice, à laquelle il ne manquait que le bruit des cigales !
Cécile, vous êtes la fondatrice de la maison d’édition Les Petits Zécolos. Sous cette signature, vous publiez des livres pédagogiques autour des insectes mais également des jeux éducatifs. Vouliez-vous restaurer un lien perdu entre les enfants – essentiellement urbains maintenant – et la nature ?
Oui, mais pas seulement ! Mes livres sont également destinés aux parents. La lecture accompagnée est un moment de partage où chacun doit apprendre quelque chose, selon moi. En tant que maman, je chéris les instants de lecture auprès de mes filles car ce sont des moments précieux, de longues minutes de transmission, mais également car j’apprends des choses grâce aux livres que je lis. J’aime l’idée que les parents puissent comprendre les rouages de l’univers des insectes via la collection.
Avec la volonté de faire tomber quelques a priori, non ?
Il y avait, en effet, un phénomène que je souhaitais endiguer à mon échelle avec la création de ces livres. Souvent, de l’ignorance naît la peur et malheureusement, ce principe est très applicable à notre considération des insectes. Nous les jugeons sur leur physique, leur aspect hybride, leurs nombreuses pattes et mandibules et nous avons cette répulsion envers eux. Nous refusons de les comprendre comme des êtres parfaits, ayant un sens et participant à une chaîne qui nous permet d’être nous-mêmes présents ! Toute cette peur, nous la transmettons à nos enfants alors qu’eux sont naturellement attirés par la richesse du vivant, ils sont curieux de la biodiversité. Mais par nos gestes, celui de balayer les guêpes d’un revers de main, celui de faire la grimace devant un escargot, nous transmettons une crainte des insectes à nos petits. Or les insectes sont nécessaires au bon fonctionnement de notre planète et devraient solliciter en nous une volonté de protection. On sait que l’abeille est une espèce protégée alors elle bénéficie de nos bonnes grâces, mais tous les insectes volants sont des pollinisateurs ! Les guêpes sont également utiles à la biodiversité.
Le frelon européen est d’ailleurs une espèce protégée en Allemagne. C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai lancé cette collection : pour sensibiliser à la raréfaction des insectes et encourager les familles à leur préservation. Je pense que si on apprend dès le plus jeune âge aux enfants à considérer le vivant quel qu’il soit, alors des perspectives de durabilité sont possibles. C’est devenu ma grande mission ! (rires)
Vous êtes graphiste de formation. Est-ce en devenant maman que vous avez eu envie de mettre votre créativité au service de la transmission éco-responsable ?
La parentalité a été un déclic. J’ai toujours eu envie d’être illustratrice, mais cela se révélait assez compliqué alors j’ai pris le virage du graphisme. J’ai grandi dans un environnement familial qui estimait beaucoup la nature. Mon grand-père était d’ailleurs très actif dans la préservation des oiseaux. J’ai donc toujours été emplie de toute cette considération et je souhaitais l’exprimer à ma manière. L’arrivée de mes filles a constitué le déclencheur d’un mouvement que je voulais faire depuis longtemps déjà.
Vos livres sont autant d’outils à destination des enfants et des parents. Vous privilégiez notamment l’écriture cursive, idéale pour l’apprentissage avec la méthode Montessori. Comment êtes-vous devenue autrice de livres jeunesse ?
À l’époque, quand Juliette, ma fille, a appris à lire avec la méthode Montessori, il n’existait que très peu d’ouvrages en lettres cursives. D’ailleurs, les seuls disponibles ne correspondaient qu’à l’apprentissage de la lecture. Il n’en existait pas pour l’étape d’après, c’est-à-dire pour les enfants sachant lire et voulant des textes plus étoffés. Et un jour, Juliette m’a dit : « Si toi tu m’écrivais un livre, tu pourrais re-dessiner maman ». Alors nous avons réfléchi ensemble à un sujet autour duquel imaginer ce livre. Après avoir rapidement éliminé la licorne (rires), j’ai décidé de faire un livre sur l’abeille, notamment parce que Juliette confondait abeilles et guêpes. J’ai commencé par un travail de recherches très fouillé. Je dessinais et j’écrivais en rentrant du travail le soir. C’était vraiment très intense mais ce projet était devenu une telle obsession que je ne pouvais faire autrement. J’ai donc pris la décision de quitter mon travail et de m’y consacrer pleinement. J’ai travaillé sur le livre jour et nuit, et trois mois plus tard, il était imprimé. J’ai eu la chance de rencontrer un entomologiste qui a posé son regard expert sur le sujet et m’a accompagnée.
Vos filles, Juliette et Joséphine, qui sont vos premières lectrices ont-elles orienté certains de vos choix dans la création de ces livres ?
Oui complètement. Au départ, quand j’ai voulu dessiner les abeilles pour mon premier livre, je partais avec une représentation assez poétique de cet insecte. Je l’avais imaginée vaporeuse. Juliette s’est approchée de mon dessin et m’a dit : « Non maman, moi je veux voir une abeille en vrai, comme si je la regardais au microscope ! » Et cet engouement pour le dessin réaliste s’est confirmé quand j’ai vu à quel point ses copains d’école étaient heureux de pouvoir observer des insectes à une échelle un peu démesurée. Alors qu’a contrario, les propositions des maisons d’édition que je recevais m’encourageaient à édulcorer mes dessins pour mettre en avant des insectes à l’allure sympathique, plus attrayants pour ceux qui achètent : les parents. J’ai donc monté ma propre maison d’édition indépendante et opté pour le dessin scientifique détaillé ! (rires)
Comment parvient-on à conscientiser les plus petits à l’importance de la biodiversité quand ces derniers n’ont parfois ni jardin ni terrasse ? Comment les enfants peuvent-ils développer de l’empathie pour un environnement dont ils ne sont pas nécessairement proches ?
Je pense déjà qu’il est bon de se rappeler – enfants comme parents – que les fruits et légumes qui sont sur la table le sont grâce au travail de pollinisation des insectes volants. C’est universel, que l’on ait un jardin ou non, nous sommes tous concernés. Et puis, les insectes font partie de notre quotidien que l’on jouisse d’un coin de verdure ou non. On peut tout à fait trouver une abeille charpentière dans les villes, sur la glycine du voisin. Les fourmis empruntent parfois les trottoirs et il est possible de trouver des gendarmes dans une cour d’école ! D’ailleurs, les insectes sont de plus en plus visibles en ville car ils migrent des campagnes trop polluées par les pesticides. Même si les espaces sont tristement bétonnés autour de nous, il est toujours possible de trouver un carré vert, une faille dans l’asphalte où un pissenlit pousse avec l’aide des fourmis et des abeilles.
Vous vivez en famille à Villeneuve-lez-Avignon, une commune du Gard située sur les rives du Rhône. Avez-vous le sentiment que votre lieu de vie influence votre vision et votre engagement ?
Oui évidemment ! Nous passons beaucoup de temps dans le jardin, au soleil, les pieds et les mains dans la terre. Nous plantons des fleurs pour les pollinisateurs, des graines dont certaines sont mangées par les oiseaux et nous élevons aussi des abeilles sauvages. Nous vivons réellement au rythme de cette nature. Toutefois, il est commun de voir les enfants et leurs parents sursauter quand un pigeon ou un rongeur passe trop près d’eux ! Même en campagne, la peur de ce qui fait la nature est bien ancrée, je trouve ça terrible. Cela montre bien à quel point la société de consommation a segmenté nos comportements de façon totalement artificielle. Il faudrait toujours tout désinfecter, toujours tout nettoyer comme si le naturel était un synonyme de saleté. Finalement, ces injonctions nous poussent à détester nos racines pour nous inventer des besoins illusoires et rentables, totalement éloignés de notre essence.
Vous faites également des ateliers autour de la biodiversité, de la faune et la flore et des manières de les protéger. Comment se déroulent ces ateliers ?
Je réalise un atelier par livre car il est compliqué de discuter de trop d’insectes à la fois sur un temps imparti. Je me déplace dans des écoles, des médiathèques ou dans des jardins publics pour réaliser ces ateliers en compagnie d’enfants qui sont, à chaque fois, très différents. Et c’est là que l’on voit que leur curiosité est universelle car, peu importe leurs conditions sociales et leurs environnements, ils terminent tous l’atelier avec l’envie de préserver la nature.
Quelles sont les questions que vous posent le plus souvent les enfants ?
Souvent les premières questions des enfants sont celles motivées par la crainte et la désinformation : « Un insecte, ça pique ? Est-ce que si ça me pique, je vais mourir ? Est-ce que tous les insectes sont méchants ? » La plupart d’entre eux pensent d’ailleurs qu’une araignée est un insecte. Je leur explique donc que non et je passe en revue toutes les caractéristiques des insectes : un corps en trois parties, six pattes, deux yeux, des antennes, des mandibules, un abdomen. À la fin de l’atelier, j’encourage les petits à dessiner l’insecte dont on a parlé pour qu’ils mémorisent et s’approprient ce nouveau compagnon. Et ça ne rate pas, ils sont ravis d’avoir fait sa connaissance. Ils sont également fiers de posséder ce savoir. Ainsi, de manière générale, je crois beaucoup en la nouvelle génération qui rédige en classe des manifestes écologistes et qui s’arme de sacs et de gants pour ramasser les déchets. Je le vois avec mes filles et leurs camarades, ils agissent ainsi au quotidien. J’ai espoir en cette vague.
Cet échange avec Cécile Miraglio est extrait de la revue CONFETTIS Volume 10
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