Toutes émancipées comme Laurène Sindicic
Bien que l’on soit sur le bon chemin, nous sommes encore trop nombreuses à nous sentir touristes sur cette île mystérieuse qu’est notre corps. Un constat partagé par Laurène Sindicic, conseillère en cycle naturel et fondatrice d'Émancipées.
Laurène, vous êtes la fondatrice de la plateforme Émancipées, une source d’informations et de conseils qui éclaire les femmes sur leur cycle naturel. Comment une avocate en vient-t-elle à quitter son activité pour lancer un projet articulé autour de la sororité ?
J’ai effectivement effectué, sur le papier, un virage à 180 degrés dans ma carrière, et pourtant, pour moi, tout s’est enchaîné de façon très naturelle. J’ai étudié à Sciences Po Paris, j’ai passé le barreau, j’ai travaillé en entreprise puis en tant qu’avocate, et honnêtement je m’éclatais intellectuellement ! Mais je crois que le concept de « besoin de sens », que l’on entend de plus en plus, a raisonné vraiment très fort chez moi, en même temps que l’appel de la maternité. J’ai toujours été passionnée par la naturopathie et par le féminin. J’étais la fille qui, en soirée, parlait de règles et de glaire cervicale à de parfaits inconnus. Et dans ces moments-là, j’avais la sensation d’être animée, passionnée, vivante ! Et surtout, je voyais que ces sujets avaient un réel impact (une fois la gêne passée !) et que les femmes étaient clairement en demande de plus de connaissances et de contrôle sur leur corps, ce parfait inconnu. Alors, une étape à la fois, j’ai pris le temps de me former, j’ai commencé à écrire, j’ai créé le site Émancipées puis le compte Instagram, et un jour, j’ai osé lâcher mon parachute et me lancer à fond dans l’aventure.
Quels apprentissages et formations avez-vous suivi afin de consolider vos connaissances et vous positionner comme professionnelle ?
C’est assez compliqué car il n’existe aucune formation de référence, pas de cursus pour devenir conseillère en cycle naturel. En fait, c’est un métier qui n’existe pas vraiment et tout est à construire, à façonner. Alors j’ai pioché dans plusieurs formations pour créer mon propre bagage, jusqu’à me sentir légitime pour accompagner des femmes à la découverte de leur corps. J’ai passé un certificat en naturopathie, un autre en nutrition, et je me suis formée pour devenir monitrice en méthode d’observation du cycle. Ça, c’était pour la théorie et pour combattre mon fort syndrome de l’imposteur. Cependant, en réalité, ce sont clairement deux choses qui m’ont permis de forger mes connaissances : lire sans cesse des études, articles et ouvrages, principalement en anglais car la littérature scientifique française est assez pauvre sur ces sujets ; et m’entourer de professionnels d’expérience qui ont bien voulu me partager leurs connaissances, une sorte de comité scientifique bienveillant. Je travaille ainsi étroitement avec un gynécologue qui a suivi pendant quarante ans des femmes dans leur parcours de fertilité. Nous sommes d’ailleurs en train d’écrire un ouvrage ensemble. Il est mon phare dans la nuit quand j’ai le moindre doute.
Émancipées est une plateforme où l’on trouve énormément d’informations et de chiffres sur les méthodes de contraception naturelle, le fonctionnement du cycle menstruel et la fertilité. Vous êtes plébiscitée par de nombreuses femmes se questionnant à propos de ces sujets, des femmes qui se sentent parfois un peu désabusées par ce que propose la médecine conventionnelle aujourd’hui (pilules, etc). Comprendre son corps, comment il fonctionne et fluctue, est-ce accessible à toutes ? Qu’avons-nous à notre disposition pour le faire ?
C’est un peu mon cheval de bataille car j’entends trop souvent des femmes me dire que leur médecin a levé les yeux au ciel quand elles ont émis l’hypothèse d’arrêter la pilule, sans avoir nécessairement de désir de grossesse, ou de personnes persuadées que la contraception naturelle, ce n’est pas fait pour tout le monde. En réalité ça l’est, mais dans des conditions bien précises. Ça ne s’improvise pas, ce n’est pas en lisant un livre ou en suivant un compte Instagram que l’on peut se lancer sans filet dans une méthode naturelle, si on est absolument fermée à toute grossesse. En revanche, en se formant (grâce à une conseillère avec qui on échange pendant trois cycles en général), on apprend à repérer sa période fertile, à savoir exactement quand il existe un risque de grossesse et quand il est sûr à 100 % que l’ovulation est derrière soi, et on peut ensuite vivre sa contraception en toute tranquillité.
A contrario, quand ce n’est pas une méthode de contraception que l’on recherche, mais une grossesse, là aussi l’approche classique est assez infantilisante. On laisse les couples se débrouiller pendant une certaine période – le fameux « essayez douze mois et revenez me voir » –, puis quand rien ne s’est passé au bout de cette période, on entre dans un parcours super médicalisé. Or entre les deux, il y a une multitude de connaissances que l’on peut acquérir et d’outils que l’on peut mettre en place pour décrypter son corps, cibler le bon moment et optimiser une ovulation qui ne serait pas au top de l’efficacité. Il suffit juste d’apprendre à écouter son corps, ses hormones, observer ses indices de fertilité (la fameuse glaire cervicale mais aussi la température basale et la position du col de l’utérus). Ne pas se contenter de subir son syndrome prémenstruel mais le voir comme une alerte du corps qui signale un déséquilibre, que l’on est en mesure d’ajuster. Toutes les femmes ont ce super pouvoir, il faut juste apprendre à l’activer.
Ces dernières années, la libération de la parole et surtout de l’écoute des femmes ont permis la constitution d’un mouvement féministe global et fédérateur revendiquant égalité en droits, justice et liberté. La volonté de se réapproprier son corps par une meilleure connaissance de son cycle et de la contraception mécanique/naturelle s’inscrit-elle dans cette continuité de prise de pouvoir ?
Absolument ! Cela peut paraître paradoxal car la pilule représente l’une des plus grandes avancées féministes. Et pourtant aujourd’hui, s’en affranchir, reprendre le contrôle sur son corps et le gérer en autonomie, c’est tout autant féministe et émancipateur. D’ailleurs, je ne milite pas du tout contre la pilule, elle correspond très bien à certaines femmes et/ou à certaines périodes de la vie. En revanche, on ne peut pas nier son impact sur la santé globale et le fait qu’elle éteint ce qui fait la richesse du féminin, à savoir la cyclicité. Se réapproprier ces fluctuations, avoir la sensation de ne pas porter une camisole chimique mais d’être, au contraire, à l’écoute de son cycle, c’est un pouvoir de dingue ! On redécouvre tellement de choses : sa libido (clairement amoindrie par les hormones de synthèse), sa créativité et sa confiance en soi (boostées par les oestrogènes), sa bienveillance envers soi-même (grâce à la progestérone, meilleur anxiolytique naturel !), ou encore les évolutions de sa peau ou de ses cheveux au cours du cycle (le good hair day de l’ovulation vs le bad hair day pendant les règles). Le cycle a longtemps été vu comme quelque chose de passif, de caché, sur lequel on ne peut rien faire et qu’on subit. Je crois que c’est en train de changer et que les femmes réalisent qu’avoir mal pendant ses règles ou avoir envie de s’enfermer chez soi et/ou de tuer son partenaire les jours qui les précèdent, ce n’est pas normal et qu’elles peuvent sortir du silence et agir pour apaiser tout ça.
Malgré notre volonté, certains tabous sont parfois tellement ancrés en nous que nous avons du mal à nous en séparer. Comment faire pour déconstruire des décennies de messages discréditant la physiologie et la sexualité féminine ?
C’est une très bonne question car il y a encore beaucoup de boulot. Le corps des femmes, dans son intimité, est très peu enseigné. En témoigne la représentation du clitoris dans les manuels, qui est en train d’être ajustée et c’est génial, mais c’est quand même incroyable à quel point sa forme était inconnue. Dans le même esprit, très peu de femmes savent à quoi correspondent les pertes blanches dans leur culotte, pourquoi leur libido est fluctuante, ou encore ce que représentent physiologiquement leurs règles. Je réfléchis souvent à ces questions et je ne sais pas encore quel serait le format idéal pour apporter ces connaissances aux femmes. Cela passe clairement par l’éducation, il faudrait repenser les fameux cours de SVT de 4e, et peut-être les introduire plus tôt, pour que les jeunes filles abordent leurs premières règles avec connaissance et confiance. Et inclure davantage les garçons, car il est indispensable qu’eux-aussi soient conscients de la physiologie féminine, du grand huit, physique et émotionnel, que peut être un cycle menstruel, mais aussi de comment marche vraiment le plaisir féminin.
Vous expliquez avec Émancipées, que les méthodes de contraception naturelles telles que la symptothermie permettent de partager la responsabilité de la contraception dans le couple. Pouvez-vous nous en dire plus au sujet de la charge contraceptive ?
La charge contraceptive, on peut la définir comme le fait de porter la responsabilité de la contraception dans son couple. Et si le sexe, ça se fait, la plupart du temps, à deux, les précautions pour éviter une grossesse pèsent en général sur les épaules d’un seul des deux partenaires. Souvent, la charge est masculine en début de relation, avec l’usage du préservatif, puis féminine dès que le couple est installé, avec la pilule ou le stérilet (il existe de nombreux autres modes de contraception, mais c’est le triptyque classique). Or il arrive que le mode de contraception retenu dans le couple ne soit pas vraiment choisi mais plutôt subi, vu comme un mal nécessaire, sans alternative. Et lorsque les effets secondaires sont mal tolérés, ou que le mode de contraception ne semble plus aligné avec l’hygiène de vie ou les valeurs, cette charge contraceptive peut devenir sacrément lourde. Même si de plus en plus d’initiatives se développent en ce sens – avec notamment les techniques thermiques –, il y a encore du chemin à faire pour que la contraception masculine entre dans les mœurs…
Selon vous, l’observation du cycle serait-il le meilleur moyen pour partager la responsabilité ?
S’il est très peu connu, ce recours à une méthode d’observation du cycle est, à mon sens, un réel bon moyen de partager cette responsabilité. En effet, les femmes ne sont fertiles que six jours environ au cours du cycle, contre tous les jours pour les hommes. Il peut donc paraître illogique qu’elles utilisent un contraceptif 100 % du temps pour, au final, ne couvrir que ces six jours. En apprenant à détecter cette fenêtre de fertilité, le couple peut ajuster sa sexualité et mieux répartir la charge sur les quatre épaules ! Si on ne désire pas de grossesse, on n’a pas de rapports avec pénétration sans protection pendant cette période. Et le reste du temps, on est libre ! Comme évoqué plus haut, cela demande d’être formés et très rigoureux, et surtout d’avoir une bonne communication au sein de son couple. De surcroît, contrairement aux croyances dues à un amalgame avec d’autres vieilles méthodes effectivement obsolètes (méthode Ogino ou méthodes des températures seules), c’est une approche très fiable. La symptothermie notamment (méthode qui couple l’observation de la glaire cervicale et/ou de la position du col de l’utérus et la prise de la température au réveil) a fait l’objet de nombreuses études qui ont démontré que lorsqu’elle est utilisée correctement, son indice de fiabilité est équivalent à celui de la pilule, et supérieur à celui du préservatif. D’ailleurs, aucune contraception n’est parfaite, ni fiable à 100 %. La meilleure des contraceptions, c’est celle qui correspond aux deux membres du couple. Mais ce n’est pas forcément, par défaut, juste un « truc de femmes ».
Sur votre plateforme, vous avez créé un programme nommé Fertility Club grâce auquel des couples peuvent être accompagnés dans leur désir de faire un enfant, en suivant le rythme naturel du cycle féminin. Pourquoi cette démarche vous paraissait-elle nécessaire ?
Quand j’ai commencé à échanger avec des femmes, via mon site ou sur Instagram, j’ai réalisé que celles qui étaient le plus en demande de connaissances étaient celles qui désiraient un bébé. Quand il n’arrive pas aussi vite qu’on l’aurait imaginé, la préconception est une période de grande vulnérabilité, où on se sent assez seule, désarmée, et où on peut réaliser à quel point on n’y connaît rien, à son corps et à sa fertilité. Moi la première, avant ma première grossesse, j’étais très stressée car persuadée que ça ne marcherait jamais. Entre temps, je me suis formée, et pour la deuxième, j’étais confiante, convaincue que « ça marcherait » et que s’il y avait le moindre souci, je saurais quoi faire pour optimiser mon projet. Cette différence de « mindset », elle change absolument tout, et j’ai vraiment à cœur que le plus de couples possible puissent vivre ce projet bébé avec cette sérénité et cette confiance. Et puis, franchement, tellement de femmes sont dans une réelle errance médicale vis-à-vis de leur santé gynécologique et passent à côté de dérèglements hormonaux, d’endométriose, d’un souci de thyroïde ou encore d’ovaires polykystiques. Avec ce club, on gagne un temps fou en décelant ces couacs, bien avant les fameux « douze mois » après lesquels les investigations médicales commencent. Et on s’occupe des hommes aussi ! Car dans près de la moitié des cas d’infertilité, l’origine est en partie masculine, il ne faut pas l’oublier.
Quels sont vos envies et projets pour le futur d’Émancipées ?
J’en ai tellement ! J’ai déjà ce livre qui va sortir en 2022, j’ai hâte. Et je veux continuer à lever les tabous autour du cycle menstruel et montrer que ce sujet, qui a longtemps été abordé uniquement sous des angles soit très scientifiques et barbants, soit très religieux ou spirituels, est en fait super fun, accessible à tous et qu’il est une réelle force, vraiment. Je fais de plus en plus d’interventions pour démocratiser ces thèmes, et j’ai envie de développer cela. J’ai notamment donné un cours au sein de l’université Dior, en partenariat avec l’UNESCO, qui vise à former les femmes leaders de demain, et j’ai trouvé ça incroyablement audacieux et fort de leur part d’intégrer le cycle menstruel dans le cursus. Clairement, les femmes ont beaucoup à gagner à mieux se connaître, que ce soit dans leur vie intime, familiale, amicale ou encore professionnelle. Par ailleurs, je rêve qu’il y ait davantage de ponts entre la médecine traditionnelle et cette approche naturelle et autonome de la santé gynécologique. Qu’il n’y ait pas de défiance ou d’agacement vis-à-vis d’une femme qui s’intéresse à son corps, mais que ces connaissances permettent au contraire une meilleure prise en charge de la contraception, de la fertilité ou de la santé menstruelle, tout simplement ! Je travaille fort pour accentuer cette complémentarité.
Crédits Photos ©Chloé Lapeyssonnie
Retrouvez l’intégralité de l’entretien de Laurène Sindicic
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