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Fanny Auger, fondatrice de la School of life

La conversation, c’est sa passion. Fanny se nourrit de rencontres, d’échanges et de découvertes. Nos vies sont si souvent remplies de discours

Le 27 mars 2017

Fanny Auger pour les Confettis

La conversation, c’est sa passion. Fanny se nourrit de rencontres, d’échanges et de découvertes. Nos vies sont si souvent remplies de discours superficiels, de la conversation à la machine à café aux commentaires sur l’émission TV de la veille. Comment pouvons-nous avoir des conversations qui nous inspirent, qui stimulent notre curiosité et qui nous encouragent à dire des choses que nous n’avons jamais dites avant ? Fanny Auger enseigne depuis près de trois ans des cours de Conversations à The School of Life Paris et répond à ces questions. Ses cours ne désemplissent pas et attirent chaque semaine de nouvelles personnes qui souhaitent ré-inspirer leurs discussions. Le cours est très participatif et permet de faire le pas entre un petit badinage superficiel et des conversations trépidantes. Nous avions rencontré Fanny, dans son école de la vie pour une interview passionnante parue dans notre premier numéro. Extrait.

Fanny Auger pour les Confettis
Fanny, au vu de votre parcours varié (études de Lettres Modernes, marketing, consulting, professeure) comment résumeriez-vous votre métier ?
Ah bonne question… Je crois que c’est la passion (large sourire). Il y a un truc qui relie tout et je m’en rends vraiment compte aujourd’hui, un peu comme dans le discours de Steve Jobs à Stanford, en 2005, où il dit : « Quand tu es jeune, tu fais des trucs et tu ne sais pas pourquoi, ça part un peu dans tous les sens et tout ça ne mène à rien, et puis quand tu es adulte, tu te rends compte qu’en fait, tout fait sens, il n’y a pas de hasard et tu peux relier les points. » Pour moi c’est un peu ça aussi. Aujourd’hui, à ce moment-là de ma vie, je crois que ma passion, par dessus tout, c’est la transmission. Ça peut se faire par l’éducation, ça peut se faire par du mentoring, ça peut se faire par des petits cours d’inspiration, c’est pédagogique mais avec un medium différent. Et je pense que c’est ça qui relie mon parcours.

Fanny Auger pour les Confettis

Comment avez-vous découvert le concept de la school of life ?
Un peu par hasard. Un jour, j’étais à Londres pour rencontrer un client, j’avais beaucoup d’avance et en me baladant je suis tombée par hasard sur la School of Life, qui est juste à côté de la gare de St Pancras. J’en avais entendu parler donc je suis entrée voir, comme ça, et on m’a expliqué. Par la suite, à chaque fois que j’allais à Londres, j’en profitais pour prendre un cours et je trouvais ça vraiment génial : l’intelligence collective qui se crée entre les gens, l’échange, la bienveillance.

Fanny Auger pour les Confettis

Quel est le principe des cours ?
On donne des cours du lundi au jeudi. Sur les trente personnes qui viennent, certaines disent « J’ai adoré mon cours », elles en parlent à leur RH ou autour d’elles. Souvent, on va aussi faire des cours en entreprise, et là, on fait un peu de profit. Honnêtement, je n’aime pas trop que les gens viennent et achètent trois cours d’un coup. Je préfère leur dire de venir pour un premier cours et de voir ensuite si ça leur plaît.

Comment le projet va-t-il évoluer ?
J’aimerais bien stabiliser le projet mais il y a des questions financières qui se posent. J’ai envie de développer nos idées sur l’éducation et la transmission. Les actions dans les ZEP m’intéressent beaucoup. J’ai grandi en ZEP, je sais de quoi je parle. Quand je retourne dans mon ancien collège ou lycée, les jeunes ont du mal à exprimer clairement leurs idées. Les filles veulent être chanteuse et les garçons, footballeur. J’ai envie de créer une école, pas pour les faire changer d’envie ou les influencer mais pour les aider. Je pense à des cours de conversation, comment se présenter, comment parler aux autres. Ce qui est fou, c’est l’envie de s’en sortir qu’ils peuvent avoir.

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Est-ce que vous avez l’impression que la School est une école en prise avec son temps ?
Oui, et pour mieux aller vers le monde, surtout ! Je n’aime pas le côté « juste s’écouter ». Je suis plus pour le « Connais toi toi-même » de Socrate. C’est pour mieux aller vers les autres en fait, et je ne sais pas si c’est dans l’air du temps… Je pense que ça a toujours existé, c’est ce que nous disent les écrivains depuis des siècles ! Je pense qu’on est dans une société qui est accélérée par les nouveaux dispositifs de communication. Il y a ce flot continu d’infos auquel on ne peut pas échapper. La nuit des attentats, j’étais collée au téléviseur, je ne savais pas que Sébastien (qui est décédé, ndlr), mon ami, était au Carillon. Je l’ai su dans les 24 h, mais j’étais comme tout le monde, entre BFMTV sur mon Ipad et France Info sur mon Mac. Je suis allée me coucher, il était 2h30… Je recevais des textos de tout  le monde, et moi je me disais « non mais ça n’arrive qu’aux autres ». Je n’ai même pas envoyé de texto à Seb. Je pense que ça nous fait nous poser des questions sur l’information et la transmission de l’information. Je suis censée avoir du recul, mais comment tu veux avoir du recul, quand les rumeurs du monde arrivent constamment sous tes yeux.

Est-ce que vous pensez qu’aujourd’hui vous avez plus de clefs pour accéder au bonheur ?
Je ne crois pas au bonheur. Je pense que je suis bien, mais je ne me pose pas la question dans ce sens là, dans ces termes. Quand je suis rentrée de Dubaï où j’avais une vie assez insouciante, et parce que j’avais le temps de me demander ce que j’allais lancer comme projet, je me disais « je suis une imbécile heureuse ». J’ajoutais « imbécile » pour me dédouaner parce que ce n’est pas bien de dire « je suis heureuse » parce que tout le monde vient dire « mais tu es folle, dans le monde dans lequel on vit ! » Même les gens heureux, ils se l’interdissent. Et du coup à la School, on n’a pas de cours de bonheur parce que je trouve que c’est une notion tellement subjective, ça veut dire des choses différentes pour tout le monde, et du coup j’en ai ras-le-bol de la tyrannie du bonheur ! Je pense que ça culpabilise beaucoup les gens. Sérieusement, il faut arrêter de se lever à 5h30 pour boire son jus détox, son thé vert bio… Bref, moi je me sens juste alignée en fait. Je sais à quoi j’ai renoncé en étant entrepreneur. Moi je ne crois pas changer le monde et je ne crois pas au bonheur en trois leçons. Je crois  que chacun trouve ce qui lui va. Ce qui est important c’est de savoir qui on est, pour mieux aller vers le monde. Je ne veux pas changer la vie de gens, je veux juste partager des bonnes idées au quotidien. Du coup je me sens bien. À ma toute petite échelle, je fais des choses et voilà.

Fanny Auger pour les Confettis

Et dans dix ans vous vous voyez où ?
Je crois qu’il ne faut pas avoir de plans, on ne sait jamais… C’est dans les détours qu’on se trouve. J’aime beaucoup une citation de Koltès : « Les marges c’est ce qui fait tenir la page. » Je pense que dans la marge, il y a tout qui se passe. Sans marge, il n’y a pas de pièce de théâtre. Sans silence, il n’y a pas de conversation, de musique.

— Et des échecs pour des réussites non ?
Lettres d’un inconnu (un service d’abonnement à des lettres manuscrites envoyées et reçues à travers le monde, ndlr) que j’ai monté a été un échec financier, mais j’en avais besoin. Pour moi, c’était nécessaire. La mort de mon ami Sébastien, c’est une douleur, une fêlure, je ne me suis jamais sentie aussi vulnérable, je suis capable d’éclater en sanglots en voyant un rayon de soleil, mais je ne me suis jamais sentie aussi forte à la fois. Ça change profondément, et je ne vois plus les choses comme avant, j’ai moins de patience, je suis cash, je dis les choses maintenant !

— C’est très franc, engagé. Un peu comme cette citation de René Char qui semble accompagner votre parcours. Elle vous est indispensable ?
« Impose ta chance, serre ton bonheur, et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront » est ma citation préférée. Elle veut dire plein de choses pour moi. René Char était poète et résistant et cela me touche. Cette citation, je l’ai eue à Sciences Po quand j’ai passé le concours mais avant de réussir l’examen, j’ai dû plancher dessus et j’avais tellement peu confiance que je me voyais déjà avec un caddie sous le Pont-Neuf. J’étais en maîtrise de Lettres Modernes à la Sorbonne, je n’avais pas fait de prépa privée en raison de ma condition, et si je n’avais pas le concours tout s’écroulait un peu. Finalement j’ai eu ma maîtrise et le concours, mais quand j’ai vu cette citation de culture générale, ça résumait toute ma vie, toute ma vie de petite fille canard boiteux, et je me suis dit « cette école est faite pour moi ». Je me suis éclatée, pendant deux heures, j’ai rendu la copie j’ai dit « merci » (rires). C’était soit j’avais zéro, soit j’avais vingt, je m’étais lâchée. Et j’ai eu le concours grâce à ça. Cette citation, cela fait 15 ans qu’elle me porte. Elle résonne avec tout.

Découvrez Trêves de Bavardages, retrouvons le goût de la conversation, le livre de Fanny, disponible aux Editions Kero.

L’intégralité de l’interview est à retrouver dans notre revue Volume 1.

Photos © François Rouzioux