Françoise Barré-Sinoussi
Dans les bureaux de l’Élysée ou dans son laboratoire de l’Institut Pasteur, Françoise Barré-Sinoussi s'engage. Grand nom de la lutte contre le sida, prix Nobel de médecine : elle est avant tout une femme de science battante.
À l’écouter revenir avec enthousiasme et émotion sur son parcours, sa découverte du VIH, ses rencontres humaines, son engagement auprès des malades du sida, difficile de voir en Françoise Barré-Sinoussi une simple chercheuse. Oui, difficile de l’imaginer vêtue d’une blouse blanche, assise dans son laboratoire à attendre patiemment le résultat d’une énième expérience. Et pourtant, c’est bien là, derrière la paillasse, que sa vocation a commencé ; et pas sous les meilleurs auspices : « En 1970, l’Institut Pasteur a ouvert ses portes à la jeune étudiante que j’étais. Mais quand quatre ans plus tard, en fin de thèse, j’ai passé un entretien avec un responsable de l’Institut pour discuter de ma future carrière, ce dernier m’a répondu : « Voyons ma chère… une femme n’a rien à faire ici. Elle doit s’occuper de son mari et de son foyer. » » Une réflexion qui reflète bien l’état d’esprit de l’époque – aujourd’hui quasiment révolu – et laisse présager des obstacles qui joncheront le parcours de Françoise Barré-Sinoussi. Mais au final, elle remercie le condescendant, comme elle remercie son père et tous les autres mâles « ancienne école » : « Ce genre de personnages et de propos ont participé à développer mon côté battante. Ils ont décuplé mes forces et ma volonté de m’affirmer dans l’univers de la recherche… et dans la vie en général. »
Tournant rétroviral
Françoise Barré-Sinoussi a eu raison de ne pas baisser les bras. En 1983, moins de dix ans après son diplôme, son équipe fait une découverte qui bouleverse le monde médical et la société tout entière. Là, sous la lentille de son microscope, s’agite un virus terrible, qui sera rapidement connu sous le nom de VIH (virus de l’immunodéficience humaine). Le responsable du sida est enfin identifié ! Un tournant majeur pour la chercheuse, qui passe rapidement du statut de discrète experte en virologie à celui d’icône internationale de la lutte contre la maladie. « J’ai l’habitude de parler de ma vie avant le VIH et de celle après. La découverte du virus a marqué ma carrière professionnelle, mais aussi ma vision du monde. J’ai naturellement été amenée à me rapprocher de populations que je connaissais mal : les gays, les usagers de drogues, les professionnels du sexe… Des hommes et des femmes qui m’ont fait partager leurs peurs, leurs souffrances, leur mise au ban de la société… » Une première claque, prémisse d’une seconde, plus violente encore : en 1985, elle atterrit à Bangui avec, dans ses valises, une terrible angoisse nourrie de clichés sur le continent africain : « Et là, j’ai découvert des gens qui vivaient, certes, dans des conditions épouvantables, mais qui étaient bien plus heureux, gentils et avenants que les voyageurs que l’on croise dans le métro parisien. »
S’ouvrir à la vie, accepter la mort
Partager le quotidien des malades du monde entier amène la chercheuse à développer une autre philosophie du rapport à l’autre, dans l’ouverture, l’écoute et le partage. Une relation synonyme d’enrichissement, mais de douleur aussi : « Vous rencontrez toutes ces personnes qui vous remercient pour votre découverte et n’attendent désormais plus qu’une chose : un traitement. Et vous, vous savez… vous ne pouvez pas leur dire, mais vous savez que développer ce traitement demandera du temps. Un temps qu’ils n’ont pas. » Françoise Barré-Sinoussi a croisé et soutenu un grand nombre de malades, bien épaulée par « la communauté sida » (professionnels de santé, associations de patients, usagers, etc). Certains de ces malades sont même devenus des amis. « Et ils sont morts… tous. » Les mots tombent alors que le sourire s’efface et que l’impassibilité de façade s’installe. Un blindage réflexe, né de l’implacable réalité du sida à une époque qui ne connaissait pas les trithérapies.
Priorité sida
La chercheuse n’a jamais cédé au chagrin, à la peine, au défaitisme. Elle a simplement continué ce qu’elle savait faire de mieux, et le plus intensément qu’elle le pouvait. Elle a poursuivi ses travaux et profité de sa renommée pour développer auprès des influents de ce monde son rôle d’ambassadrice de la lutte contre le sida. « À partir de 1983, je me suis entièrement dédiée à cette lutte. Ma vie sociale est, de fait, extrêmement limitée. J’ai dû me rendre une fois au cinéma depuis, mais m’autorise quand même quelques restos » glisse celle qui n’avoue guère de regrets pour un choix qui s’est imposé comme une évidence. Un remord, peut être… envers un mari qui l’a soutenue et accompagnée tout du long de sa carrière, qui a « compris et accepté [s]es choix, même celui de privilégier [s]es travaux à une éventuelle famille », mais que la maladie aura emporté avant de laisser le couple profiter d’une retraite à deux bien méritée.
Le grand jeu de la recherche
Retour à la science et ses plaisirs. Si Françoise Barré-Sinoussi a progressivement laissé les rênes de son laboratoire aux membres de son équipe, elle n’en demeure pas moins profondément attachée à la paillasse et à l’esprit même de la recherche, à savoir… le jeu ! « Au-delà des compétences, les qualités premières d’un chercheur sont la patience et la persistance. Il ne faut pas se décourager et se remettre constamment en question. Définir des hypothèses originales, de nouveaux protocoles supposés mener à de belles découvertes. Bien sûr, on perd plus souvent que l’on ne gagne, mais quand on gagne le sentiment de plénitude efface tout le reste ! Il y a de quoi développer une véritable addiction ! » Une saine accoutumance à la recherche, au bénéfice du plus grand nombre. Car la qualité de vie des malades reste la principale motivation pour la chercheuse, qui confesse avoir très mal vécu la polémique autour de la paternité de la découverte du VIH (également proclamée par une équipe américaine). Le prix Nobel de médecine de 2008 est venu apaiser ses tourments, mais elle n’oublie pas les critiques des malades : « Nous allions à leur rencontre et nous entendions « On ne vous croit plus ! Tout ce qui intéresse les chercheurs, c’est de vous disputer la paternité de la découverte du VIH. Nous, les malades, vous vous en fichez ! » Et ça, ça fait mal, très mal. Car nous n’avions en réalité qu’une aspiration : développer de nouvelles armes pour combattre à leurs côtés, notre ennemi commun, le sida. »
L’humain sous toutes ses formes
La place de la femme a beau être importante dans l’action militante de Françoise Barré-Sinoussi, elle reste englobée dans une vision plus large : « J’adhère et je me bats pour la cause féminine, mais pas plus que pour la population gay ou transgenre, par exemple. Je suis là pour apporter des réponses à tous les malades. Si je réalise que l’innovation n’arrive pas jusqu’à un certain type de patient, pour x raisons – politique, discriminatoire, financière… – c’est là que je sors de mes gonds et monte le plus au créneau ! Et pas besoin de regarder bien loin, il existe encore de la stigmatisation en France, comme l’a démontré le débat sur le mariage pour tous. Dire que j’avais la naïveté d’imaginer que nous avions évolué dans ce pays… » Respect de la vie, de l’être humain, des droits de l’Homme, tels sont les leitmotivs qui animent la recherche selon Françoise Barré-Sinoussi. Pour elle, pas besoin de planification sur le long terme : « Les grandes découvertes ne sont jamais planifiées à l’avance. » Ou de budgets à rallonge : « Les financements restreints de la recherche française forcent les chercheurs à se creuser les méninges, à être originaux et conceptuels dans les approches développées. Notre esprit libre favorise l’innovation ! » Un esprit libre, moteur d’innovation… Françoise Barré-Sinoussi a résumé l’essence de son parcours. L’essence de son être ?
Retrouvez ce portrait de Françoise Barré-Sinoussi par Olivier Vachey dans
le Volume 2 des Confettis, à télécharger gratuitement.
Photos ©Antoine Bréard
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