Talents

Lisa Congdon, une artiste qui ouvre la voie

Le temps n’est plus l’ennemi de cette artiste qui a redécouvert tout son potentiel créatif après sa trentième bougie.

Le 25 juillet 2019

Quand tout le monde fait la course, Lisa Congdon décide de crayonner le cadran du chronomètre. Échange avec une artiste révéler sur le tard.

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Lisa, vous avez dédié toute une partie de votre vie à l’éducation ainsi qu’à des associations à but non lucratif. Vous vous êtes par la suite tournée vers l’art à l’âge de 30 ans. Vous venez pourtant d’une famille d’artistes, comment expliquez-vous cette révélation « tardive » ?

Effectivement, j’ai grandi dans un environnement très créatif et stimulant. Ma mère réalisait énormément de choses à l’aide de ses mains, comme de la broderie. Pourtant, je ne me suis jamais considérée personnellement comme créative et encore moins comme une potentielle artiste. Mes frères et sœurs me renvoyaient l’image de personnes créatives et j’étais plutôt la gamine sociale et sportive. Ma trentaine arrivant, j’ai commencé à souffrir de ce que l’on pourrait appeler une crise existentielle. Je venais de mettre un terme à une longue relation amoureuse, ce qui m’avait poussée à entamer un travail introspectif. Je me demandais qui j’étais et comment je voulais que ma vie se dessine. Je luttais alors contre une grande phase de dépression et d’anxiété. Je n’avais qu’une envie : sortir de cette angoisse permanente. Au milieu de ce périple à l’intérieur de mes sentiments, j’ai découvert que j’aimais créer. Plus en confiance, j’ai laissé ma créativité me guider vers la reconquête de mon bonheur. J’ai commencé à dessiner et à peindre en prenant des cours çà et là. C’est à ce moment-là – en 2004 – que j’ai lancé un blog où je partageais des photos de mes créations. Cette initiative m’a permis de rencontrer d’autres esprits créatifs sans pour autant me dire que ça me mènerait vers une carrière artistique. Je n’avais même pas idée que mon boulot actuel puisse être possible ! Ce que je comprenais à l’époque, c’est que ce plaisir de créer me faisait cicatriser et guérir. J’ai créé mon bonheur et cette réalisation me rendait très puissante. Je mobilisais mes bonnes et mauvaises énergies dans l’art et je suis devenue très prolifique. Petit à petit, je me suis sentie capable d’expérimenter sur différents supports. Je définissais mes nouvelles limites en les repoussant. Quelques années plus tard, d’autres personnes ont montré de l’intérêt pour ce que je faisais. J’ai alors fait mes premières expos. Puis, j’ai réalisé qu’il m’était possible d’être artiste à temps plein. Il fallait simplement que je persiste et signe. Ce que j’ai fait ! J’ai travaillé ardemment pour développer mes capacités et ma vision. J’ai quitté mon boulot de l’époque pour faire de l’illustration et les Beaux-Arts. C’était en 2007. Depuis maintenant douze ans, je fais ce que j’aime et je continue de me perfectionner.

Où avez-vous trouvé le courage de repartir de zéro ? Comment expliquez-vous ce succès ?

Je crois que de nombreuses femmes entre 30 et 40 ans pensent qu’il est trop tard pour tenter quelque chose de nouveau à leur âge. Elles se disent : « J’aurais dû le faire plus tôt ! » Or je suis convaincue qu’il n’y a pas de meilleur moment dans la vie pour repartir à l’aventure. C’est une période charnière où l’on prend conscience de toute l’expérience accumulée. Vous avez une certaine sagesse qui émane de vos perspectives à cet âge-là. Finalement, plus âgées vous êtes, plus vous devenez disciplinées et déterminées. Cela explique le succès de toutes ces femmes « late bloomers » (voir notre sujet dans Les Confettis volume 3). Je pense cependant que l’on ne repart jamais de zéro car on construit toujours sur des fondations déjà présentes. Le passé ne détermine pas le présent, mais il éclaire sa direction. À l’aube de ma carrière d’artiste, je pensais que je laisserais mes connaissances éducatives et associatives derrière moi. Résultat : elles ont affermi mon succès. La vie d’une artiste est rythmée par plein d’autres choses que la création. Je suis heureuse d’avoir eu un certain background quand j’en viens à organiser mon planning, interagir avec mes clients et capitaliser sur leurs feedbacks.

Auriez-vous été une artiste différente si vous aviez suivi la voie des écoles d’art ?

Oh oui, sans aucun doute ! Je crois qu’être autodidacte vous donne une certaine liberté. Je ne travaille pas avec les voix des professeurs dans ma tête me rappelant qu’une manière de faire est bonne et l’autre mauvaise. J’ai décidé de mes propres règles et c’est ce qui donne une certaine particularité à mon travail.

Photo © Lisa Congdon

Avez-vous eu l’impression de souffrir du syndrome de l’imposteur en commençant ?

Complètement ! Ma première réaction à l’enthousiasme des gens face à mon travail a été la panique ! Je me répétais que je n’étais pas une « vraie » artiste car je n’avais pas étudié l’art. Après tout, pourquoi vouloir exposer ou embaucher une personne de 30 ans sans background plutôt qu’un jeune diplômé de 23 ans ? J’avais vraiment l’impression d’être une usurpatrice. Des artistes me posaient sans cesse des questions auxquelles je m’empêchais de répondre par peur d’être démasquée ! Et ironiquement, plus je gagnais en followers et en spectateurs, plus je me sentais menteuse. C’était usant et angoissant. Je me levais le matin avec cette boule au ventre, ce poids sur les épaules. Puis, comme un mécanisme de survie, j’ai cherché la sortie à cette pression. J’ai décidé d’en parler, de mettre des mots sur mes sentiments et de les partager avec ma communauté. J’ai donné une voix à ma peur. C’est comme ça que j’ai appris que je n’étais pas seule. De nombreuses personnes ne se sentent pas légitimes face au succès, notamment les femmes.

Photo © Lisa Congdon
Photo © Lisa Congdon

Vous avez dit : « J’ai compris l’importance de la discipline, de la bousculade, de la prise de risque et d’une bonne communication ». Pouvez-vous nous expliquer ?

Quand vous débutez, toutes ces choses sont importantes. Ce sont également des notions que j’ai appris à considérer au cours de ma précédente carrière. La discipline est un pilier dans le processus artistique. Votre force artistique, aussi puissante qu’elle soit, ne peut se développer sans une grande discipline. Vous devez rigoureusement vous essayer à tous les supports et produire. D’autant plus quand on est autodidacte comme moi. J’ai voulu repousser mes limites et me bousculer en acceptant des challenges dans le but de sortir un maximum de ma zone de confort. J’ai accepté des projets qui m’effrayaient car ils demandaient énormément d’investissement et de flexibilité. Je crois qu’on ne peut pas élever sa créativité sans obstacles, ils sont nécessaires. Par ailleurs une communication fluide et honnête est également primordiale. En tant qu’artiste, on vit grâce aux personnes qui achètent notre travail. Ces clients doivent être traités avec respect et considération quoi qu’il arrive.

Vous êtes très active et dévouée à votre travail au quotidien, ce qui explique votre productivité. Cette créativité très dynamique est-elle naturelle ou résulte-t-elle d’un cheminement ? Il me semble d’ailleurs que vous souhaitiez ralentir votre rythme…

J’ai la chance d’avoir appris dans mes précédents emplois à gérer et optimiser mon temps. Cela a donc été un apprentissage. Au-delà de ça, je crois que je suis naturellement douée pour m’organiser, je ne sais pas faire autrement. Je suis et je resterai un capricorne, c’est peut-être pour ça (rires). Prévoir mon planning et ancrer mes journées dans une certaine routine me calme. Pour autant, je m’adapte aux projets inattendus et aux changements de programme. C’est important de savoir se concentrer pour travailler au cœur du chaos. Je me souviens de mes débuts en tant qu’illustratrice, je travaillais constamment. Le plus ardu a été d’acquérir une flexibilité assez efficace pour me concentrer tout en gardant l’esprit alerte pour basculer d’un projet à l’autre. Et cela sans me laisser distraire par mon téléphone et la vie autour ! Maintenant, j’allège mon programme pour respirer un peu. Après de nombreuses années à travailler sans arrêt, j’ai fini par subir un burn out. Mon but est désormais de m’organiser en incluant pleinement mes journées off, mes pauses, mon temps de repos et mes moments de méditation. Si vous souhaitez garder un équilibre tout en travaillant beaucoup, ces temps de déconnexion sont sacrés. Ce sont mes clés pour me réaliser en paix.

© Lisa Congdon

Il semble vous tenir à cœur d’encourager les gens à trouver le courage et la bravoure de se réaliser. Vous êtes d’ailleurs l’autrice d’un livre qui aide les jeunes artistes à vivre de leurs créations. Pourquoi cette envie ?

J’ai écrit ce livre pour partager tout ce que j’avais appris en tant qu’artiste autodidacte. Le vocabulaire de l’art, du design et de l’illustration peut être intimidant lorsqu’on se lance surtout quand on ne vient pas d’une école d’art. Je voulais absolument désacraliser ce lexique mystérieux dans le livre. Mon ambition est de soutenir les artistes afin qu’ils trouvent leur voie jusqu’au succès. Soit exactement l’inverse de la compétition. Plus les artistes se sentiront soutenus et libres de créer, mieux le monde se portera.

Plus récemment avec votre livre A Glorious Freedom : Older Women Lead Extraordinary Lives, publié en 2017, vous souhaitiez exposer aux yeux de tous, le potentiel créatif des femmes de 40 ans et plus. Pensez-vous que notre société souffre d’un intérêt disproportionné pour la jeunesse ?

J’ai cette impression oui, et je veux célébrer le fait de prendre de l’âge. Je veux célébrer le temps qui passe avec toute la maturité qu’il amène avec lui. Les jeunes femmes sont tellement angoissées à l’idée de vieillir aujourd’hui ! C’est dommage car la vie est une longue aventure durant laquelle nous évoluons, vieillissons, gagnons en clairvoyance et en confiance. C’est important de le dire. Vieillir devrait signifier « apprendre à plus s’aimer » car avec les années, on fait beaucoup moins attention à l’avis des autres ainsi qu’à leurs jugements de valeur. C’est un gain de sagesse indéniable et je voulais mettre des mots sur toutes ces choses merveilleuses qui se passent quand on se laisse le droit de vieillir. Je souhaitais inspirer les femmes qui désirent vivre la prochaine moitié de leur vie avec conviction et passion. Cela me tenait également à cœur de raconter l’histoire des ces femmes « late bloomers » qui réalisent de belles choses, vivent leurs rêves et font la différence. Nous ne devrions pas avoir peur de vieillir, nous devrions célébrer le temps qui passe !

© Lisa Congdon

Comme une ode aux chemins tortueux, l’illustratrice nous rappelle que la seule voie à emprunter est celle de nos rêves.

Retrouvez l’interview en intégralité et plus d’images, dans notre Volume 6 disponible ici.

Photo en Une © Lisa Congdon