Talents

Martine Camillieri

Dans son ancienne vie de pubarde, Martine Camillieri incitait à la dépense. Aujourd’hui, la plasticienne encourage à penser. Itinéraire d’une lanceuse d’alerte à l’esprit libre et la main verte.

Le 23 mars 2020

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Une renaissance au monde

Comme une curieuse prophétie de Paco Rabanne, le passage à l’an 2000 bouleverse la vie de Martine Camillieri alors directrice artistique très successful dans le monde de la publicité parisienne. Elle était entrée dans la publicité un peu par hasard après des études aux Arts décoratifs à la Villa Arson à Nice : « À l’époque on ne parlait non pas de profession mais de métier. C’était quelque chose destiné à nourrir une famille ou pour moi, en tant que femme à cette époque, c’était d’être indépendante financièrement. Et d’approcher une profession qu’on aimait. Et ce métier m’a beaucoup plu. Mais après quelques années, lorsque l’on m’a demandé de travailler sur une campagne pour un géant des pesticides, ce fut trop. J’ai dit stop ». La perspective d’aider un géant des pesticides à faire pousser des fleurs – du mal – dans l’esprit des consommateurs est trop dure à avaler. Son amour de la punchline et du visuel qui vous ôte les mots de la bouche ne suffira pas à apaiser ses cas de conscience. Martine quitte la publicité, son terrain de jeux et décide de cultiver d’autres fruits avant de récolter les raisins de la colère. En repensant à tous les objets qu’elle a « fait acheter », elle se demande combien l’acheteur en a jeté. Un constat insoutenable qui la pousse à revenir aux racines de sa créativité et à celle de la Terre. Soudain, le commerce de l’inutile, du superflu, du déraisonnable ne lui est plus supportable. Martine s’apprête à s’engager. Par son art, elle tente de questionner où nous mènera notre poursuite du bonheur ? Dans quel jardin d’Eden pourrons-nous jouir de l’abondance de notre vide intérieur ? Son raisonnement passe par la responsabilité, de la biodiversité et du recyclage. Fatiguée par ce trop plein d’objets qui caractérise notre société, elle devient écolo « par repentir ».

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Une maison-galerie

Renouveau rime aussi avec nouveau départ. En 2000, avec son mari Bernd Richter, Martine quitte son loft de Bastille pour une ancienne usine de Malakoff dont ils aiment l’esprit vide. Très vite, la galerie « La Périphérie » y verra le jour. Ensemble, ils dénichent de nombreux artistes et designers, exposés par la suite à la Fiac. Avec « La Périphérie », elle s’assure de la portée de son message et s’entoure. Elle commence à réaliser des installations qui déstabilisent la notion d’extraordinaire en prouvant par le simple coup d’œil que l’ordinaire peut être extra. Une démarche qu’elle couche sur papier avec son livre Tables éphémères (2003) qui donnera lieu par la suite ce grand buffet organisé en 2007 à l’occasion des dix ans de la Maison des Arts de Malakoff. Un repas 100% biodégradable avec au menu : des feuilles de choux en guise d’assiette, des pics de romarin et des tiges de laurier en lieu et place de couverts, des cuillères faites de tiges de bois et de bonbon fondu… « Chaque groupe d’invités disposait d’un sac poubelle biodégradable pour les déchets. A la fin du repas, tout a été mis dans un autel du compost, qui a été travaillé avec les jardiniers de Malakoff. Un an après, une fleur est née des restes de ce repas. » Le plastique n’est plus si fantastique. Pour ses œuvres, Martine utilise l’art du détournement et la mise en scène embellit le quotidien. Chez elle, rien ne se perd, tout se transforme.

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Inverser la tendance

L’artiste ne produit que des œuvres éphémères. « Au moins, je ne risque pas de me retrouver avec des tonnes d’invendus » plaisante-t-elle. Martine a choisi d’offrir une seconde vie à ces objets a priori destinés à nos poubelles. De porter un autre regard, empreint de tendresse, sur toutes ces choses que nous considérons comme usées, démodées, vieillies. Une idée qui transparait dans son habitation. Aujourd’hui, elle y a installé un atelier, derrière un patio baigné de lumière. « Ma mission? Limiter l’objet sur terre. On a déjà tout chez soi, pourquoi vouloir toujours plus ? Pourquoi ne pas commencer par regarder différemment les objets que l’on a déjà ? » Avec elle, l’écologie devient ludique. Et le quotidien, poétique. Son crédo : récupérer, détourner, recycler. En référence à son enfance passée à Saïgon, en Asie, elle imagine des hôtels « Je me souviens de toutes ces offrandes. Il y en avait partout et pour tout. » Ces hôtels éphémères sont pour elles des réflexions sur les nouvelles tendances de consommation. « Après les It-Girls les It-Bags, les chefs sont-ils les nouveaux papes ? Les nouvelles cuisines sont-elles les nouvelles religions du XXIe siècle ? » En 2005, elle présente l’installation Just clean it, un temple fait de balais, d’éponges et de seaux, pour dénoncer l’usage excessif de lingettes, à l’occasion du salon du meuble de Milan. Et pour la semaine du développement durable, elle imagine un temple en polystyrène. Suivrons Food 50354 (2005), Food Picnic (2005), Food Bollywood (2006-2011) et Wild food des nourritures féroces (2018). Autant d’« Autels Oniriques Ironiques » comme elle s’amuse à les décrire qui suscitent des questionnements sur notre société de consommation. « Arrêtons de négliger la beauté de ce qui est simple ». L’artiste a trouvé sa voie. Son univers se veut décalé, séduisant, agrémenté de couleur, d’humour, de malice, de gourmandise et de poésie.

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La bonne bouffe

Naturellement, la gloutonnerie de l’industrie agroalimentaire nourrit la rébellion de Martine. Notre insatiable faim nous mènera-t-elle à notre fin ? Alors que les spots télévisés et catch phrases hypnotiques stimulent même l’appétit du plus somnolent des rassasiés, la plasticienne choisit de se dresser contre l’ogre marketing. La slow designer ne fait pas la fine bouche : « Mes réflexions sur le comestible doivent aller jusqu’à l’écœurement pour convaincre les gens. » Avec une démarche pédagogique, Martine s’adresse aussi aux enfants comme pour renouer avec son rêve d’être institutrice. Pour eux, elle imagine de nombreux livres de cuisine afin d’encourager les gens à faire leur propre cuisine au lieu d’avoir recours à l’agroalimentaire. Ces livres ont tous reçus un écolabel du gouvernement et ils ont aussi donné lieu à des installations au Musée en Herbe, au Centre de design de Marseille, au Centre Pompidou (Nuit blanche des enfants), chez Artazart, Bonton… Dans ses livres, l’artiste détourne les objets du quotidien avec une infinie poésie. « Pourquoi alors acheter des jouets dernier cris quand il suffit de changer d’angle de vue pour tout redécouvrir ce que nous avons autour de nous ? Il ne tient qu’à nous de nous fabriquer un quotidien féerique. Je suis fière de poser mon regard sur toutes ces jolies choses anodines qui existent. Fière de mes petits riens du tout ». Aujourd’hui, aux côtés de son compagnon Bernd Richter – devenu designer menuisier – Martine prend la route de l’inattendu deux mois par an au volant de leur « Kmion » en n’oubliant pas d’entretenir leur jardin en permaculture et de cultiver quelques boutures sur la route.

 

Retrouvez le texte d’Emma Bellot ainsi que tout l’univers de Martine Camillieri dans le Volume 4 des Confettis, toujours disponible.

 

Photographies ©François Rouzioux