Découvertes

Père au foyer : le masculin singulier

Alors que les discussions autour du congé paternité se font plus nombreuses, nous avons choisi de nous intéresser à ceux qui semblent contrebalancer l’ordre établi : les pères au foyer. Zoom.

Le 4 novembre 2021

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À la genèse de quelque chose de nouveau ?

Depuis quelques temps, un bruit court. Paraît-il même qu’il courrait à la sortie de l’école, entre l’échoppe du primeur et la boulangerie, et jusque dans la salle d’attente du pédiatre. Ce bruit laisserait entendre qu’un phénomène nouveau serait sur le point d’émerger et qu’il se ferait appeler : père au foyer. Selon certains témoins – anonymes – il serait le nouveau « daddy cool », cet homme conscient de la fugacité de la vie qui ne veut rien regretter de sa vocation de papa. Pour d’autres, il ne pourrait être que dans une « phase » de réflexion. Mais quid des faits ? Le père au foyer serait-il comme le Père Noël, alimentant les bavardages, mais ne dévoilant que peu de preuves de son existence ? La réponse ne semble pas être du côté des chiffres et c’est dommage. En effet, alors qu’il existe nombre d’études et de statistiques sur les mères au foyer, les pères à la maison ne paraissent pas intéresser les instituts de sondage ou les thésards. Qui aurait cru que, dans une société à l’ancrage patriarcal aussi fort que la nôtre, les statisticiens envisageraient la paternité au foyer comme un non-sujet ? Étonnant.

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À ce jour en France, l’une des seules, la sociologue Myriam Chatot s’est orientée vers le décryptage de ce mode de paternité. Grâce à elle, et au podcast « Les Couilles sur la table » de Victoire Tuaillon pour Binge Audio, nous apprenons que ce sentiment – celui qui nous fait dire que les temps changent et que les pères actuels sont plus présents que leurs propres paternels – n’est pas si nouveau. Myriam Chatot fait référence ici à l’expression « nouveaux pères » qui désigne ces pères qui se ressentent et souhaitent être considérés comme des papas beaucoup plus affectueux et disponibles pour leurs enfants, rompant de la sorte avec leurs propres pères, plus stricts et distants. Bien que l’expression « nouveaux pères » soit particulièrement usitée de nos jours en raison de la multiplication de sujets comme la parentalité alternative ou l’éducation bienveillante, elle remonte pourtant aux années quatre-vingt. Elle était alors présente dans les livres et les magazines. Oui, les « nouveaux pères » sont novateurs depuis… quarante ans. Et Myriam Chatot va plus loin en développant l’une des conclusions de sa thèse « Le temps des pères : socialisation et résistances au rôle de pourvoyeur de soins dans le cadre d’un congé parental à temps plein. » Elle explique qu’en dépit de cette représentation d’eux-mêmes si disruptive qu’on les nomme « nouveaux pères », les mères souffrent toujours d’une répartition inégalitaire des tâches. Si les pères sont plus disponibles pour les temps de loisirs ou d’éducation, ce sont toujours, dans une large proportion, les mères qui gèrent les problématiques de soin de l’enfant (nourrir, soigner, laver, changer, etc).

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Le temps des choix

Selon une étude de l’Insee datant de 2012, 5 % des hommes ont interrompu leur activité professionnelle pendant au moins un mois pour s’occuper de leur plus jeune enfant contre 28 % de femmes. Bien que ce chiffre ne permette pas de déterminer combien d’hommes deviennent pères au foyer à plein temps sur une longue durée, il prouve bien qu’une certaine proportion de papas fait le choix de rester quelque temps à la maison après la naissance d’un enfant. Demandons nous alors comment s’articule ce choix. Dans l’étude « Est-ce que c’est vraiment le rôle d’un papa d’être au foyer ? Négocier le rôle de parent au foyer quand on est un homme. » dirigée par Myriam Chatot et Caryn E. Medved, les deux autrices révèlent qu’il existe plusieurs facteurs à l’entrée de l’homme dans le rôle de père au foyer. Si certains prennent la décision délibérée de stopper leur activité professionnelle, d’autres « s’accommodent » d’une conjoncture défavorable (licenciement, chômage) pour mettre à profit leur temps et le consacrer à leurs enfants. Parfois, endosser le rôle de père au foyer peut revêtir la notion de « sacrifice ». En effet, le papa sacrifierait sa productivité pour permettre à la mère de s’investir pleinement dans son activité professionnelle. Mais encore faut-il qu’un prérequis vienne valider ce choix de vie : les finances du foyer. Rappelons qu’encore aujourd’hui, le salaire des femmes est environ 20 % inférieur à celui des hommes. Cela pourrait en partie expliquer pourquoi si peu de familles ne peuvent s’épanouir de façon viable dans un schéma de paternité au foyer.

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Père au foyer et masculinité

Au-delà de l’aspect financier, il existe un autre frein considérable à la popularisation de ce schéma familial : le déclassement social. Toujours selon l’étude menée par Myriam Chatot et Caryn E. Medved, on découvre que certains des pères au foyer interrogés craignent le regard des autres parents. En effet, les pères au foyer sont confrontés à la traditionnelle vision de la famille où papa travaille dépose les petits à la garde d’enfants à Massy et travaille dur afin de subvenir aux besoins financiers des ses protégé(e)s. Bien que les mentalités évoluent, cette conception est résiduelle et développe chez le papa à la maison, une sorte d’aliénation. Son utilité au sein du foyer est remise en question (un homme qui s’occupe des couches ?) mais également sa « masculinité » comme l’atteste ce passage de l’étude : « Les pères au foyer sont souvent renvoyés par autrui à une forme de masculinité déviante ou stigmatisée (chômeur, paresseux, homme entretenu) ou à une non-virilité comme témoigne ce père au foyer interrogé dans le cadre de l’enquête : “C’est un truc pas très viril d’être homme au foyer… J’ai déjà pris ça en plein visage, que ce n’est pas viril et le fait qu’un homme soit au foyer, ça peut pas marcher ! Parce que voilà, t’es un mec, t’es un lion ! [On me prend pour] un original… Il y aura toujours cette vision que ce n’est pas viril, que tu es un loser, que tu es un chômeur… C’est le pire du pire.” » Une preuve supplémentaire de l’urgence qu’il y a à déconstruire certaines systémiques de pensée afin de pouvoir tous se libérer des représentations toxiques dont on hérite plus ou moins consciemment.

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La fin de la charge mentale pour les mères ? Pas si sûr.

Enfin, une dernière question nous taraude : « Quand papa est à la maison, qui s’occupe du ménage ? » Alors qu’il pourrait nous sembler naturel que l’égalité au sein du couple mène à une prise en charge collective des activités domestiques voire que ces mêmes activités soient assumées en plus grande partie par le père au foyer, la réalité semble défier notre théorie. Dans l’étude de Myriam Chatot et Caryn E. Medved, certains pères interrogés revendiquent ainsi privilégier le temps dédié à leurs enfants et à eux-mêmes au détriment de certaines activités ménagères, qui finissent par incomber aux mères : « La majorité des pères rencontrés déclarent en effet garder du temps pour eux, parfois au détriment des tâches ménagères. Les pères ont donc une plus grande latitude pour négocier leur investissement dans le rôle de parent au foyer : “Je voulais tout prendre pour moi [les tâches ménagères], histoire d’assurer socialement, de jouer le rôle d’homme à la maison et en fait ce n’était pas agréable pour moi ; j’avais l’impression d’avoir moins d’énergie pour m’occuper des enfants… Du coup, j’ai laissé tomber cette idée”. Cet « accommodement » du rôle passe également par son adoption sur un mode « masculin », en réalisant des activités masculines en lien avec les enfants ou le foyer : travaux dans la maison, participation à l’association des parents d’élèves, éducation des enfants orientée vers l’apprentissage de l’autonomie et la prise de risque”. Un équilibre propre à chaque couple mérite donc d’être trouvé afin que la paternité au foyer soit vécue positivement par chacun.

 

Pour autant, une chose est certaine : la paternité au foyer ne sera jamais parfaitement épanouie sans revalorisation financière du travail des femmes, sans une meilleure considération et compréhension de la charge mentale qui leur incombe et sans une déconstruction attentive des schémas cloisonnant de genre. Alors, au travail !

 

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