Victoria Bedos, une artiste complète
— Journaliste, écrivain, scénariste, chanteuse, actrice… Qui êtes-vous vraiment Victoria ? Sur la fiche pour passer la douane, je mets
— Journaliste, écrivain, scénariste, chanteuse, actrice… Qui êtes-vous vraiment Victoria ?
Sur la fiche pour passer la douane, je mets « artiste » pour résumer, et souvent le douanier me demande si je peins, alors je dis oui, ça va plus vite. En fait, mon instrument principal, comme on dit chez les musiciens, c’est la plume. J’écris avant toute chose et pourtant je déteste écrire. Je ne peux pas faire autrement, mais je déteste : ça me fait mal, ça m’épuise, me coince dans ma tête et mon corps s’ennuie. C’est en chantant et en jouant que j’ai réconcilié le corps et l’esprit, que j’ai trouvé mon équilibre. En ce moment, j’écris principalement, mais je rêve de tourner… un rôle que je n’aurais pas écrit !
— Comment êtes-vous venue à l’écriture ?
Je n’ai pas choisi l’écriture, c’est elle qui m’a choisie. Moi, je voulais vivre avec les chevaux, puis devenir jockey, puis vétérinaire. Mais on m’a refusé l’accès à une 1ère S car j’étais nulle en maths et bonne en français. Je ne voulais pas créer, car créer c’était souffrir pour moi. Je voyais mon père et mon frère écrire, douter, ne pas réussir à dormir, ressentir la vie si sensiblement qu’elle leur faisait mal. Je ne voulais pas car je voulais être normale. Et puis, comment oser écrire, produire à côté de gens qui ont autant de talent ? Comme j’étais très scolaire, dans le rang, j’ai fait hypokhâgne sans trop savoir où j’allais et puis des études d’histoire, aussi mollement. Enfin, par curiosité, j’ai fait un stage au cours Périmony pendant les vacances où j’ai joué les textes que j’écrivais, au lieu de jouer du classique, et j’ai adoré ! Mais mon père a voulu que je continue mes études dites « sérieuses ». Ce n’est que quelques années plus tard que je n’ai pu réfréner mon envie d’écrire, comme un besoin vital, une nécessité : j’ai écrit deux pièces de théâtre qui n’ont jamais vu le jour puis un livre Le Déni puis des séries télé, des chansons et tout ça a abouti à La Famille Bélier. Mais j’ai eu du mal à me sentir auteur. C’est si long de se sentir légitime.
— Dans votre travail d’écriture, que ce soit pour le cinéma ou la musique, qu’est-ce qui vous inspire
Tout m’inspire : une femme qui marche dans la rue, un souvenir d’enfance, ma chienne qui est au ciel, un personnage de Grey’s Anatomy, une chanson de Michel Sardou, ma mère, mes rêves, le film Amadeus, mon banquier, tout. Quand on écrit, on est des cannibales, on mange, on croque tout ce qui nous entoure. D’ailleurs j’ai une petite faim, là. Vous voulez bien me raconter votre vie ?
— Après l’interview alors (rires) ! Vos œuvres sont souvent autobiographiques, pourquoi ?
Parce que, ce que je connais le mieux, c’est moi, et que pour être juste dans l’universel, il faut partir de l’intime et créer autour. Et puis écrire est un exutoire, une forme de thérapie pour moi. Tout ce que je n’arrive pas à exprimer en parlant, je l’écris, je le chante ou je le joue. Ça me lave de l’intérieur.
— Concrètement, dans quelles conditions vous mettez-vous pour écrire ?
C’est en fonction de l’étape d’écriture : soit j’ai besoin de calme absolu, soit je m’immerge au cœur de la ville, de la vie, dans un café agité où je prends l’énergie des êtres pour être stimulée. Pour écrire, j’ai besoin de ralentir le temps, d’en avoir devant moi. Je peux tourner autour de l’ordi pendant longtemps avant de cracher ma Valda. Mais je sais que j’écris même quand je prends un bain ou que je me mets du rouge à lèvres. Là où j’ai mes meilleures idées, c’est aux toilettes. La pause pipi est très fructueuse généralement. C’est un lieu confiné, protégé, intime donc idéal. Pendant longtemps, je n’ai pas eu Internet à la maison, je devais aller dans un café pour envoyer mes mails et mes textes, mais j’ai craqué et Facebook est devenu mon plus grand ennemi. Les réseaux sociaux sont une plaie pour les auteurs.
— Comment faites-vous pour vous protéger de toutes les nuisances extérieures ? Avez-vous des rituels d’écriture ?
Quand j’écris seule, je me mets en moche, c’est-à-dire que je porte un jogging horrible et un pull tout doux, trop grand et très laid, tout cela complété de tongs limite orthopédiques. Et le meilleur pour la fin : je relève ma frange que j’attache en houpette de yorkshire. Ça me libère du regard des autres, ça m’autorise à me laisser aller. Mais il ne faut pas sonner chez moi à l’improviste dans ces cas-là.
— Un remède contre la page blanche ?
Je me souviens avoir écrit mon livre Le Déni chez les traiteurs chinois de la rue de la Huchette. Je sentais le nem en sortant, mais je me sentais protégée de quiconque pouvait me connaître. J’avais besoin d’être cachée pour écrire.
— Quel est votre rapport au temps ? Le laissez-vous couler sans souci ou avez-vous besoin de contraintes pour avancer ?
J’ai besoin des deux. Le contrat me rassure car il y a un échéancier et comme je suis scolaire, j’aime ça. Mes producteurs ont, pour ainsi dire, remplacé mes professeurs. Mais en même temps, écrire nécessite un temps long qui avance lentement. J’ai mis trois ans à écrire La Famille Bélier ! Quand j’écris, je m’extrais du mouvement trop rapide qui nous entoure et c’est ça que j’aime dans mon métier.
— Êtes-vous quelqu’un de plutôt pressé dans la vie ou de plus contemplatif ?
J’ai vraiment les deux en moi. Je suis aussi lente que rapide. Je marche très rapidement et suis de nature nerveuse, mais quand je suis chez moi, je suis comme un chat, lente et contemplative. C’est pour ça que je suis tout le temps en retard. Ma liturgie avant de sortir de chez moi est très lente.
— Quel regard portez-vous sur la femme d’aujourd’hui ?
Je trouve que c’est dur pour nous de concilier la féminité et la parité. De se battre pour maintenir nos droits dans la société et de savoir baisser les armes dans le couple. De protéger notre dignité sans pour autant castrer les hommes et perdre notre douceur de femme. J’aimerais être Simone de Beauvoir et Maryline Monroe en même temps. C’est un rêve.
— Est-ce difficile d’être prise au sérieux lorsque son nom est associé à l’humour ?
L’humour c’est très sérieux, au contraire. On rit de choses tristes, on rit pour ne pas pleurer. Les grands humoristes sont souvent de grands dépressifs.
— Qu’est-ce que cela veut dire, pour vous, avoir réussi sa vie ?
Avoir envie de se réveiller le matin et pas envie de se coucher le soir tellement ma vie est palpitante. Mais plus précisément, avoir réussi ma vie selon moi, ce serait de pouvoir être trois femmes en une : une artiste, une amoureuse et une maman épanouie et accomplie.
— Une heure à tuer, vous faites quoi ?
Un bain chaud, très chaud, avec de la musique triste pour pleurer. J’adore pleurer sur de la musique. Ça m’apaise, me nettoie.
Article extrait de notre revue Les CONFETTIS, Volume 2 disponible sur notre boutique.
À suivre
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