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Dans l’atelier d’Aurélia Wolff

Dans son atelier-boutique WHOLE, Aurélia Wolff récupère puis fabrique des collections aux nuances authentiques et fidèles, sans jamais perdre le fil de ses envies. Rencontre.

Le 30 août 2021

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Aurélia, c’est à Paris que l’on vous retrouve dans l’atelier-boutique WHOLE que vous avez créé. Ici, vous réalisez des objets textiles un peu particuliers. Dites-nous en plus… Qu’est-ce qui vous a menée vers la réalisation de teintures végétales ?

Je suis depuis longtemps animée par la création textile. J’ai d’ailleurs développé en 2009, une marque de prêt-à-porter féminin, consciente et fabriquée localement, à Paris, à partir de fins de série et de chutes de tissus haute couture. Je ne voulais pas pour autant en rester là. J’ai eu envie d’aller plus loin dans le travail des couleurs en me formant à la coloration naturelle et en développant mes propres matières. Après de très belles rencontres, lectures et formations, et également un appel à dons participatifs – donnant beaucoup de visibilité médiatique à la récupération de déchets organiques – j’ai développé WHOLE. Ce projet répondait à mon appétence globale en matière d’art de vivre, d’esthétisme, de sobriété et d’écologie. WHOLE propose des collections de linge, d’accessoires, d’objets de décoration pour adultes et enfants.

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Vous vous êtes formées auprès de Michel Garcia, fabricant de couleurs végétales installé dans le Vaucluse. Comment se sont passées cette rencontre et cette formation ? Est-ce toujours aujourd’hui une personne que vous sollicitez pour de nouvelles idées ?

J’ai, en effet, suivi deux formations professionnelles passionnantes avec Michel, et je reste en contact étroit avec lui, pour des questions techniques ou des problématiques d’approvisionnement en plantes particulières. Il a également relu et préfacé le livre que j’ai écrit aux éditions Eyrolles, Teintures végétales. J’ai donc beaucoup d’affection pour lui. Il est désormais installé en Bretagne, au Faouët.

 

Vous avez imaginé une machine assez innovante « le récupère-couleur » qui utilise 5 fois moins d’énergie et 6 fois moins d‘eau que les teintures chimiques. Comment fonctionne l’extraction des pigments ? Réalisez-vous toutes ces étapes, ici, dans votre atelier ?

Ce projet était le premier outil conçu en fab lab suite à tout un processus mis au point avec un ingénieur textile. C’était une grande cuve chauffante, avec un système d’agitation et de filtrage. Nous avons aujourd’hui opté pour des contenances inférieures et le même système de filtre. L’extraction de pigments se fait de manière classique, par décoction, et nous réutilisons nos bains jusqu’à épuisement.

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Fondée sur un principe d’upcycling naturel, la coloration peut se faire grâce à des fleurs, des épluchures de légumes, des écorces… Comment trouvez-vous vos matières premières ? Avez-vous imaginé des circuits particuliers ? 

Pour la récupération des déchets courants, toute l’équipe participe ! Nous apportons des pelures d’oignon, des peaux d’avocat, etc. Nous avons également la chance d’avoir notre atelier à côté de Terroirs d’Avenir – un distributeur pour producteurs et maraîchers conscients – qui nous fournit en tiges d’artichaut, pelures de légumes et autres trésors. J’avais, par ailleurs, mis en place un réseau de restaurateurs mexicains pour les peaux d’avocat en grosse quantité, mais ça n’est pas toujours suivi. Sinon pour les plantes tinctoriales plus classiques, ma sœur, qui vit dans les Cévennes, a consacré une partie de ses jardins à nos ressources tinctoriales avec notamment des cosmos, gaudes et garances. Nous avons enfin nos réseaux de fournisseurs, dont une amie qui a lancé la première AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) de plantes tinctoriales !

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Les couleurs que l’on obtient grâce à la teinture végétale sont celles que l’on peut retrouver dans la nature. Quelles nuances réussissez-vous à obtenir ? 

Toutes les couleurs ne sont pas évidentes à reproduire. Le vert des végétaux provient de la chlorophylle et ce n’est pas véritablement un colorant utilisable en teinture. La couleur des fruits rouges, qui peut sembler si intense, ne se transfère pas sur le tissu de façon satisfaisante non plus. Les couleurs dites « grand teint » qui résistent aux lavages et à la lumière sont celles du bleu des plantes à indigo (comme le pastel en France par exemple), du rouge de la garance (dans la racine), du jaune de réséda (ou gaude), du brun de noyer, des tanins de noix de galle associés au fer qui donnent des gris à noir. Nous faisons aussi beaucoup de rose ou beige rosé grâce aux peaux d’avocat qui contiennent des colorants et des tanins puissants. J’utilise également beaucoup l’écorce d’acacia catechu (dite  « cachou ») pour des tons caramel, et les racines de rhubarbe pour les ocres et jaunes.

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Vous faîtes ainsi partie de ces nouveaux artisans qui donnent un souffle inédit aux métiers de savoir-faire et de fabrication. Qu’est-ce qui vous plaît dans le travail de la matière, dans la confection ? 

Je trouve passionnante l’idée d’apprendre et d’enrichir un métier. Avoir une latitude de création infinie, échanger avec d’autres artisans, donner naissance à des innovations dans le secteur, en comprenant mieux et en développant nos méthodes, c’est tellement gratifiant. Se réapproprier des savoir-faire ancestraux en leur apportant un regard contemporain, faire de ses mains, donner du sens à la production, chercher le beau, sont des valeurs qui me parlent fortement.

 

En proposant des ateliers dans votre boutique, ou via le livre que vous avez écrit, vous cherchez à partager votre savoir-faire. En quoi est-ce important pour vous de transmettre ?

Je ne sais pas si je transmets, en tout cas, je partage ce que j’ai appris, et je me rends compte que de plus en plus de personnes (surtout les femmes) s’y intéressent. Travailler avec les plantes est toujours source de plaisir, partir d’une matière vivante, organique, est très bénéfique et cette pratique créative et ludique s’adapte à de nombreuses intentions. J’aime voir ce que les gens en font, et pouvoir aiguiller les nouveaux projets en fonction de mes connaissances.

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S’exercer à la teinture végétale, c’est également prendre le temps de laisser faire les choses. A-t-on besoin aujourd’hui, selon vous, de recouvrir un rapport au temps plus juste ? 

Complètement ! Une dimension slow certaine, et parfois beaucoup d’humilité ! Il est nécessaire de repenser notre rapport au temps mais également notre rapport à la profusion (d’objets qui nous entourent par exemple). Nous avons un travail à faire concernant notre considération de la quantité et de la qualité. Comprendre comment sont faites les choses, faire avec justesse et bon sens, en tout cas, prendre le temps d’être en conscience. Je pense qu’effectivement les ancrages dont nous avons besoin sont mis à mal dans nos sociétés accélérées et dématérialisées, ce qui explique notre besoin manifeste de ralentir, de se connecter à la nature. Cette pratique est une belle manière de l’aborder et de le partager avec les plus jeunes.

 

En recherche expérimentale constante, vers quoi vous tournez-vous actuellement ? Quelles seraient vos envies pour WHOLE dans les prochains mois et années ?

Je suis très séduite par le tissage, et j’avance progressivement dans cet art avec mon métier à tisser et une formation en tapisserie de haute lice, suivie récemment. La création d’encres pour l’aquarelle ou la sérigraphie, afin de développer des applications graphiques sur papier ou textile, me travaillent aussi depuis longtemps ! Une première série de torchons sérigraphiés sera présentée ce printemps. Et je pense aussi développer les workshops, ajouter des thématiques, et proposer une formule nomade « hors les murs » innovante… Affaire à suivre (sourires) !

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Retrouvez l’interview d’Aurélia Wolff par Perrine Bonafos
dans le Volume 6 des Confettis.

 

Photos © François Rouzioux