Talents

Aurélie Jean change les codes

Oui, on peut être docteure en sciences, ex-chercheuse au MIT (Massachusetts Institute of Technology) puis entrepreneuse à succès. La preuve avec Aurélie Jean. Rencontre.

Le 15 juillet 2019

Aurélie-Jean-les-confettis

Aurélie Jean, c’est un mix d’intelligence, de curiosité, de courage et d’ambition… Pétillante à souhait, passionnée par les nouvelles technologies, elle délivre la bonne parole pour défendre la diversité dans des conférences auprès de jeunes femmes. Son leitmotiv ? Tout est possible quand on s’aide et que l’on sait se faire aider ! Discussion avec une trentenaire extraordinaire. Propos recueillis par Anna Casal.

 

Aurélie, quels ont été vos premiers pas dans le domaine des sciences ?

Je me suis orientée vers les sciences car j’ai toujours eu une appétence et des facilités pour la physique et les mathématiques. Je crois que cela vient de ma volonté de toujours comprendre comment fonctionnent les choses. Petite, je me souviens de mon grand-père qui m’expliquait pourquoi il y avait des nuages, pourquoi l’eau bouillait, d’où venait la pluie… J’étais fascinée. Après mon bac, j’ai naturellement commencé mes études à Sorbonne Universités, en sciences de la matière (ce qui équivaut à la physique). Là-bas, les profs m’ont encouragée à obtenir une mention « très bien » pour intégrer un magistère dans une des Écoles normales supérieures. J’ai suivi leurs conseils et j’ai intégré l’ENS Cachan. J’étais attirée par cette école car il y avait peu de filles en mécanique. Je voulais déjà changer les choses dans le domaine de l’égalité hommes/femmes ! Par la suite, j’ai fait une thèse aux Mines de Paris sur la mécanique numérique des matériaux en développant des modèles mathématiques qui simulent la microstructure des pneumatiques. C’était un travail passionnant.

 

Comment avez-vous décidé de vous expatrier ?

Au cours de mon année de maîtrise, un professeur de la Sorbonne Universités m’a encouragée à partir à l’étranger. Comme je venais d’un milieu plutôt modeste, ce n’était pas un horizon envisageable, mais l’idée me plaisait. J’y suis allée au culot : j’ai écrit une lettre dans laquelle je racontais mon histoire personnelle et mon envie de poursuivre mes études aux États-Unis. J’ai envoyé ce message à tout le monde : au rectorat de Paris, aux universités françaises… et même au ministère de la Recherche ! Et ça a marché ! Un soir, un monsieur du rectorat m’a appelée et m’a dit avoir été touché par ma lettre car il avait eu la même histoire. Il m’a donc indiqué où trouver un financement sur critères d’honneur. Grâce à lui, j’ai eu une bourse de voyage de la part de Sorbonne Universités, une bourse de la région Île-de-France et un autre financement. Je suis partie à Boulder, dans le Colorado, où j’ai fait des rencontres formidables pendant plusieurs mois. Comme quoi, l’expression anglo-saxonne « Information is power » a vraiment du sens. Après mon doctorat aux Mines, j’ai voulu repartir et j’ai passé deux ans à la Pennsylvania State University comme chercheuse. Mon mentor, qui est maintenant un ami, le docteur George C. Engelmayr m’a donné un conseil : celui de me construire un réseau. Le savoir-faire doit toujours s’accompagner de faire-savoir. J’ai poursuivi dans la recherche au MIT sous la direction des professeurs Raul Radovitzky et John Joannopoulos, en travaillant sur le cœur dans l’ingénierie des tissus et sur le cerveau. Le code que j’ai écrit à l’époque sur les traumatismes crâniens a été donné à l’Armée américaine.

Les confettis Aurélie Jean

Quand avez-vous décidé de vous battre pour que les femmes aient une place plus importante dans le domaine scientifique ?


Depuis le début de mes études, j’avais pris conscience que les femmes devaient pouvoir se projeter dans ce domaine. Au MIT, je voyais bien que j’étais un spécimen rare : si l’université était en pointe en ce qui concerne la promotion de la diversité, je restais la seule femme dans mon labo de recherche. Lors des cours que je donnais, j’essayais d’attirer des filles dans mon labo. Plus tard, quand j’ai travaillé chez Bloomberg, j’ai vraiment pris la parole en public devant des collégiennes, des étudiantes pour faire part de mon expérience et leur montrer que c’était possible d’être une femme scientifique. Le coaching, le mentoring et le conseil sont venus naturellement. En novembre dernier, j’ai, par exemple, fait une présentation devant un groupe d’étudiantes au Venezuela grâce au professeur Jean Clauteaux, avec toujours comme objectif de les encourager à avancer dans cette voie.

 

Quelles sont vos différentes casquettes aujourd’hui ?

En 2016, j’ai créé In Silico Veritas qui communique sur les nouvelles technologies, les connaissances techniques et tente d’inspirer les individus, les institutions et les entreprises. Le projet avance très bien et a acquis une grande notoriété. En septembre dernier, j’ai également cocréé une entreprise : MixR, un réseau social qui met en relation des organisations non gouvernementales et des membres qui souhaitent être impliqués activement. Je suis également mentor et, depuis peu, marraine de la première promotion de l’école française en intelligence artificielle de Microsoft.

 

Quelles sont les barrières que rencontrent aujourd’hui les femmes ?

À mon avis, il y en a trois principales : une première est due à l’éducation. J’ai, moi-même, eu beaucoup de chance car mes grands-parents ne m’ont jamais posé de limites et m’ont toujours encouragée à aller là où je voulais. Chez nous, il n’y avait pas de stéréotypes, on baignait dans une ambiance de tolérance et d’ouverture… Ce qui fait que, parfois, je suis étonnée de la fermeture d’esprit de certains. Je mesure que j’ai eu énormément de chance. La deuxième barrière est liée à la société, et à l’image qu’elle renvoie aux femmes. Enfin, et c’est souvent la limite la plus forte, elle est liée à soi-même, à ce que l’on s’autorise ou non.

 

Avez-vous eu des modèles ?

Tout au long de mon parcours, j’ai pu croiser des femmes qui m’inspiraient. Si je ne devais en citer que trois, je dirais que ma professeure de physique en DEUG, Lucile Julien, a été la première à m’encourager. Et puis les docteures Tara Stuart et Simona Socrate, toutes deux professeures au MIT, dévouées à la cause des femmes, ont été déterminantes également.

 

Vous habitez entre Los Angeles et Paris, que vous apportent ces deux pays ?

J’ai eu beaucoup de chance d’avoir grandi en France car le système éducatif de haut niveau est gratuit et il m’a permis de me réaliser. Aux États-Unis, j’ai appris le pragmatisme, l’ouverture d’esprit et le libéralisme, la confiance en moi et la force de solidarité entre femmes. J’essaye aujourd’hui d’apporter à la France cet esprit. Je vois que les lignes sont en train de bouger et j’en suis heureuse.

 

Avec vos multiples casquettes, vous devez avoir un emploi du temps très chargé, quels sont vos secrets d’organisation ?


J’ai une forte capacité de travail et j’avance vite. J’aime être réactive et multitâche : il m’arrive de dicter des réponses à des e-mails via mon oreillette pendant que je tape à l’ordinateur sur tout autre chose, par exemple. Je travaille tous les jours et un peu les week-ends. Pour trouver un équilibre, je fais régulièrement du sport – de la natation notamment – et je préserve mon sommeil au maximum en me couchant à des heures convenables… Vous me trouverez rarement en soirée après minuit ! J’aime aussi la culture qui me permet de m’aérer et de m’ouvrir. Mon rythme de travail est globalement intense et je me prends à rêver d’avoir un assistant qui serait à mes côtés au quotidien ! Ce sera la prochaine étape.

 

Si vous deviez donner trois conseils à une jeune fille qui veut réussir dans le domaine des sciences, quels seraient-ils ?


Il faut tout d’abord être très adaptable et ouverte pour pouvoir passer facilement de la physique aux maths ou à l’économie et ne pas se fermer de portes. La deuxième clé est de savoir bien s’entourer en prenant des mentors tout au long de son cursus et bénéficier ainsi de leurs bons conseils et de leur expérience. Par la suite, devenir mentor soi-même est aussi très intéressant. Enfin, j’ai très envie de dire : « Les filles, aidez-vous ! ». Sachez vous écouter entre vous, vous n’êtes pas en compétition ! Sans oublier que les hommes peuvent être de grands alliés aussi !

 

Quelles sont les femmes qui vous inspirent le plus ?

 

– Sandrine Vohra, mon amie. Elle dirige une grande société de marketing, Mikado, à Denver, élève ses deux enfants et garde un équilibre. Elle est souple, humble et me permet toujours de relativiser.

 

– La docteure Tara Stuart, une femme que j’admire pour de nombreuses raisons. Elle était mon mentor au MIT et m’a ouvert beaucoup de portes.

 

– Maud Bailly, actuellement CDO d’AccorHotels, a marqué mon esprit lors d’une récente rencontre. C’est une femme exceptionnelle, pleine d’énergie, dont la vision et les valeurs sont alignées avec les miennes ! Je suis une vraie fan. Entre nous on s’appelle les twin sisters ! Il y a aussi beaucoup d’hommes qui m’inspirent tels que docteur Martin Hautefeuille, Kevin Pemberton, Ryan Flannery, Julien-Henri Maurice, Sébastien Le Fol, Emmanuel Schanzer, Peter Hirst… et tant d’autres! Leur soutien compte beaucoup pour moi.

 

Retrouvez Aurélie Jean dans le Volume 4 des Confettis, disponible dans l’espace boutique.