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Constance Guisset

Grâce à son studio de design et de scénographie, Constance Guisset invente des objets qui surprennent les intérieurs. Inspirée par l’illusion et l’humour, elle revisite l’architecture d’intérieur pour qu’un lieu laisse place à une véritable immersion.

Le 30 mars 2020

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Constance, votre parcours est pour le moins atypique. Après des études à l’ESSEC et Sciences Po Paris, vous avez travaillé au Parlement de Tokyo. Comment avez-vous bifurqué vers le monde de la création ?
J’ai toujours aimé faire les choses avec les mains. J’ai toujours aimé bricoler. Je me souviens d’un établi qui m’a suivi durant mon enfance d’ailleurs. Je voulais faire un métier qui était à la fois intellectuel et manuel. J’avais même envisagé d’être chirurgien pour ces raisons. Finalement je me suis laissée porter par mes études et le fait que j’aimais apprendre. J’ai passé mon Bac, j’ai intégré une Prépa et je me suis lancée. Même en école de commerce, je fabriquais des décors pour les soirées. Toutes les occasions étaient bonnes pour fabriquer à l’aide de mes mains. Puis, je suis entrée à Science Po pour me diriger vers la gestion d’études culturelles et ainsi travailler autour de la création. Après quelques temps dans mon travail, j’ai compris que c’était véritablement la création qui me plaisait et non pas la gestion. J’ai donc décidé de changer de voie. Je me suis demandée si je voulais me tourner vers le métier de designer et l’idée qu’il y avait en même temps des aspects mécaniques, techniques et scientifiques me convenait totalement. J’ai toujours aimé passer du temps à résoudre des problèmes techniques ou de fabrication. J’ai donc passé le concours de L’ENSCI et je l’ai eu. En parallèle, je travaillais chez Ronan et Erwan Bouroullec pour financer ce changement. Je suis restée 7 ans chez les Bouroullec comme administratrice.

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Regrettez-vous d’avoir attendu pour vous lancer ou pensez-vous qu’il s’agissait d’un processus nécessaire dans la maturation de votre envie ?
Je ne regrette pas du tout. Quand je croise des artistes qui enseignent, certains me disent trouver dommage que les étudiants ne mettent pas tout leur temps à profit pour leurs études d’art. Avec mon parcours en école de commerce comme background, j’ai compris rapidement l’importance de me donner à fond dans cette nouvelle voie. Si je n’avais pas eu le temps d’explorer d’autres pistes avant, je crois que je n’aurais pas été aussi concentrée en école de design. Et de manière générale, je n’ai pas beaucoup de regrets.

 

Qu’est-ce que vous aimez particulièrement dans le design aujourd’hui ?
J’aime la variété de sujets que cela implique. J’aime la variété des projets et des personnes que cela amène. Chaque projet donne également lieu à des moments particulièrement intéressants. Cela peut être la conception, le suivi, la réalisation, la mise en conformité avec la réalité mais aussi tout l’aspect qui a trait à la communication. Prendre des photos, mettre des photos sur les formes, c’est constamment enrichissant car c’est un métier protéiforme.

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Toutes les étapes d’un projet vous plaisent alors ?
Oui, mais j’aime moins les réunions ! (rires)

 

Les mots « joyeux », « léger » et « éclairé » reviennent souvent pour décrire votre travail. Qu’est-ce qu’ils signifient pour vous ?
Effectivement, je crois que je suis quelqu’un de joyeux et j’aime travailler avec mon équipe dans cette atmosphère là. Et ça se ressent inévitablement dans les objets. J’estime également que l’humour fait partie de la légèreté. Dans cet esprit là, j’essaie de prendre du recul par rapport à l’objet et je le conçois pour qui ne « plombe » pas. Cela passe par des formes et des matériaux qui viennent alléger la matérialité du quotidien. C’est important pour moi. Et « éclairé », je ne sais pas. Je pense qu’il y a des éléments qui participent à ça comme le travail des couleurs par exemple.

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Il y a également la notion de magie…
Oui, ça m’amuse beaucoup. J’ai fait mon mémoire sur l’illusion quand j’étais à l’ENSCI. J’aime bien les diables en boîte, les tours de magie. J’aime l’humour qui va avec ça et la surprise inhérente à cette notion. J’essaie d’y faire un clin d’œil à travers mes projets.

 

Vous avez des matériaux de prédilection ?
Non, à mes yeux c’est important que le matériau soit au service du projet. Je n’ai donc pas d’a priori. C’est un peu la même chose avec les couleurs. Evidemment, il y a des couleurs que je préfère mais je pense que toutes les couleurs sont envisageables en fonction des projets.

 

En 2010, en collaboration avec l’éditeur  Petite Friture, vous avez réalisé la suspension Vertigo. Cet objet connaît un succès qui ne cesse de s’affirmer. Comment vous l’expliquez ?
J’étais encore étudiante quand j’ai réalisé cette suspension et j’ai eu sur le moment, une intuition. Je voulais qu’elle soit imposante et finalement je n’avais pas pris conscience de ce que cela voulait dire dans un intérieur. J’ai eu du mal à la faire éditer car j’ai été refusé par beaucoup d’éditeurs qui n’y voyaient pas un usage assez simple ni une appropriation que je qualifierai de « commerciale ». Ils trouvaient trop risqué un objet de 2 mètres. Et il est vrai que je n’avais pas saisi à quel point la structure comblait le vide dans l’espace intérieur. Je la pensais comme une micro-architecture, c’est à dire comme un objet délimitant un espace un peu cocooning, une sorte de cabane. C’est en la voyant en situation que j’ai compris qu’elle s’administrait l’espace libre dans la maison.

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Votre studio réalise également des projets de design, d’architecture et des scénographies. Comment organisez-vous ces différentes activités au sein de votre équipe ?
On n’a pas le dessus des cartes quand les projets arrivent. La répartition des équipes se fait naturellement. Certains sont plus à l’aise avec la scénographie, d’autres avec l’architecture bien que cela reste assez transversal. Je suis pour ma part, par définition, sur tous les projets. Je suis tout de très près. Il y a évidemment des chefs de projet attribués à chaque projet en cours.

 

Vous avez dit qu’être une femme vous a parfois empêché d’accéder à certains gros projets, faute peut-être, “d’épaules suffisamment costauds”. Est-ce quelque chose qui a complètement changé aujourd’hui ?
Ce n’est pas exactement ça…Je crois que c’est plus général. Globalement, nous avons moins de temps le soir pour faire des rencontres professionnelles après s’être occupée des enfants par exemple. C’est indéniable, le passage des heures est réel. Je peux piocher par-ci par-là des heures en plus pour travailler mais les journées passent toujours aussi vite. Effectivement, si ma situation était différente, je pourrais prendre des projets à l’étranger par exemple. Puis, je crois que dans mon domaine il existe encore des a priori. Des idées reçues selon lesquelles les femmes sont un peu moins techniques ou n’ont pas les épaules pour porter certains projets. Mais j’ose espérer que cela va changer. J’ai ressenti ça au début de mon activité, je dirais qu’aujourd’hui je le ressens un peu moins. Je pense toujours à la génération d’après et je me dis qu’il faut qu’on soit encore plus fortes pour que ce soit plus simple pour les prochaines.

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Pour vous, vers quoi doit tendre le design pour correspondre désormais aux problématiques de durabilité et d’écologie ? 

Je pense que le design doit absolument continuer sur sa lancée ! Je crois qu’il est impossible d’être designer sans penser à la matière que l’on utilise. Moi, j’y pense tout le temps. Plus les projets sont gros, plus j’y porte de l’attention. Nous avons un rôle à jouer. Malgré cela, il reste difficile de trouver un équilibre accessible quand on confronte le design Made In France et le design fait à l’étranger. Ce qui est le plus accessible est souvent élaboré dans un matériau moins noble et durable. C’est une équation à plusieurs inconnues. Malheureusement, matériau durable et design accessible sont difficilement compatibles je trouve. Mais je pense qu’on s’attache tous à faire évoluer les choses de ce côté là dans le but de pouvoir proposer un jour des objets éco-conçus, éthiques et séduisants.

 

Retrouvez l’intégralité de l’interview de Constance Guisset par Perrine Bonafos
dans le Volume 5 des Confettis, toujours disponible.