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Fairly Made, pour une mode éclairée

Camille Le Gal et Laure Betsch sont les créatrices de Fairly Made. Une entreprise qui aide les marques à produire une mode responsable, écologique et éthique, du fil au produit fini.

Le 29 mars 2021

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Inséparables depuis le lycée, Camille Le Gal et Laure Betsch se sont d’abord frottées au milieu de la mode avant de créer leur entreprise en 2018. Cheffe de produit chez Maison Kitsuné puis développeuse et acheteuse pour &Other Stories, Laure apprend à échanger avec les usines et les stylistes tout en concevant des produits cohérents. Pendant ce temps, Camille fait ses armes chez Vuitton puis chez Chanel en tant que business analyst. À la faveur d’un voyage à Hong Kong, les deux femmes décident de donner du sens à leur travail en développant une mode désirable, engagée sur la partie sociale et environnementale. Fairly Made était née.

 

Quelles étaient vos ambitions en créant Fairly Made ?

 

Laure Betsch : Fairly Made est une société de « sourcing » et de confection éco-responsable. On accompagne les marques dans la construction de collections en essayant de réduire l’impact de l’industrie textile sur l’environnement et d’améliorer les conditions sociales pour les travailleurs.

 

Camille Le Gal : Aujourd’hui, tout le monde parle d’éco-responsabilité. Or dans la mode, il y a encore trop peu de choses qui se font, les préjugés ont la vie dure. Notre volonté chez Fairly Made c’est de remonter les filières textiles de la matière première jusqu’à la confection pour que des acheteurs puissent sortir des collections en adéquation avec leurs valeurs. Qu’ils puissent se dire que c’est faisable.

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Changer la mode est un véritable sacerdoce. Par où avez-vous commencé ?

 

Laure : Tout a commencé avec un test sur sept mois. Avec Camille, nous continuions toujours à travailler en parallèle. Chez H&M, je suivais la formation « sustainability fundamentals » sur l’éco-responsabilité, j’y ai appris l’impact des matières et les alternatives. À titre d’exemple, toutes les matières avec lesquelles nous fonctionnons aujourd’hui, comme le coton bio ou le polyester recyclé, existent depuis longtemps mais pour des raisons de méconnaissance et de filières, elles ont été délaissées.

 

Camille : Au fur et à mesure, on a établi les critères que l’on avait envie de mettre en place dans ce protocole Fairly Made. On a posé les bases en 2016 d’abord en creusant la partie filière avec des visites d’usines de confection. Après avoir validé la partie fournisseurs, on a rencontré des marques, comme Zadig & Voltaire pour qui j’avais travaillé par le passé. Quand, avec Laure, on a lancé la boite en 2018, on a très vite signé avec les Galeries Lafayette comme fournisseur pour leur ligne « Go for good ».

 

Comment se déroule votre travail avec les griffes de prêt-à-porter ?

 

Laure : On leur propose de s’inspirer de la bibliothèque des matières pour qu’ils aient la preuve physique qu’aujourd’hui on peut faire une mode éco-responsable avec de jolis tissus. Il y a ensuite une phase de sélection des matières pour établir un plan de collection qui soit cohérent. Le but ce n’est pas d’utiliser quinze matières différentes quand on pourrait en utiliser trois. Enfin on reçoit les commandes et on procède au développement et à la production. À chaque instant de la production, on va conseiller les équipes sur comment choisir les meilleurs techniques en lavage, en teinture, etc.

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Ce n’est pas trop compliqué de convaincre les marques ?

 

Camille : Il faut réussir à leur présenter des choses proches de ce qu’elles ont l’habitude de voir, c’est pour cela que l’on a créé une bibliothèque de matières désirables. Nous avons aussi essayé de rentrer dans le processus classique d’un acheteur. C’est là que l’expérience de Laure chez &Other Stories était clef. Arriver avec un business model disruptif et une approche nouvelle aurait été trop effrayant. Chez Fairly Made, on a une approche neuve de la matière, mais on s’insère dans un processus déjà existant. Aujourd’hui tout le monde sait créer un compte Instagram séduisant. L’idée, c’était de s’insérer là où le bât blesse, où il y a un manque.

 

Pourquoi avoir choisi la fabrication équitable plutôt que de lancer votre marque green ?

 

Laure : On y a pensé au début, mais on avait envie de réduire vraiment massivement l’impact de l’industrie. Pour cela, il fallait que l’on s’adresse aux marques plutôt qu’aux clients, planter des graines pour avoir une distribution plus large.

 

Comment vous assurez-vous de la transparence des usines ?

 

Camille : Depuis le début, nous travaillons avec des certificateurs internationaux qui ont cette expertise à chacune des étapes : Fairtrade, GOTS, etc. Aujourd’hui, il n’y a aucun certificat qui va du fil jusqu’au produit fini avec un cahier des charges social et environnemental très poussé. Nous faisons donc ombrelle de l’ensemble de ces certificats pour chacune des usines. Nous allons aussi beaucoup sur le terrain, rencontrer les directeurs pour vérifier qu’ils sont en ligne avec nos valeurs et avec les certifications qu’ils passent.

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Depuis que vous avez commencé ce travail d’évangélisation, vous avez le sentiment que les choses évoluent ?

 

Laure : L’an dernier, on a croisé pas mal de marques qui disaient que leur thème de l’année était l’engagement, qui voulaient redéfinir leurs valeurs. Les Galeries Lafayette, par exemple, ont créé leur label « Go for good » et ont demandé aux marques en vente chez elles de proposer au moins un produit qui s’insérait dedans. Pour certaines, c’était la première fois qu’elles se posaient la question. Demain, il faudra peut-être imposer légalement aux marques de connaître leurs fournisseurs et d’utiliser des matières qui ont moins d’impact sur l’environnement.

 

On soupçonne souvent les grandes marques de mode de « greenwashing ». Est-ce que le changement de mentalité est réel ?

 

Laure : Il faut toujours commencer quelque part. Ce ne serait pas « responsable » de tout changer du jour au lendemain, parce qu’en réalité ce sont aussi des liaisons, des relations de longues dates créées avec des usines. Il faut emmener ces usines vers le mieux. Une marque qui communique sur ses efforts peut entraîner une autre à se poser des questions. Quoi qu’il en soit ça emmène la vague de l’industrie là où il faut aller.

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Dans le contexte actuel, créer de nouveaux vêtements n’est-ce pas aller à l’encontre de l’écologie ?

 

Laure : C’est certain que produire, pollue. Notre challenge, c’est de produire mieux et notamment de modifier les habitudes des gros pollueurs. Une chose est sûre, les grandes marques ne pourraient pas aujourd’hui fabriquer en 100 % matières « upcyclées ». Ce que l’on veut faire, c’est accompagner l’industrie vers du mieux en proposant des solutions concrètes, en poussant par exemple pour du « made in France » ou encore vers des matières recyclées.

 

Camille : Si « l’upcycling » est tout à fait possible pour des petites ou des marques intermédiaires, pour les grands groupes, c’est plus compliqué. Chez Fairly Made, nous essayons de favoriser l’économie circulaire en mettant l’accent sur le recyclage ; c’est-à-dire dégrader et effilocher une matière pour revenir au stade de fil. La problématique lorsque l’on produit du neuf en 2020, c’est d’abord de s’assurer que la matière est recyclable.

 

De nouveaux défis pour l’année à venir ?

 

Camille : Une deuxième collection capsule Des Petits Hauts arrive en boutique et on travaille déjà sur la troisième qui sortira l’été 2021. Nous avons aussi un projet avec Etam qui verra le jour au mois de mai. Avec eux, on a développé tout le système d’affichage ainsi qu’un QR code que l’on va retrouver sur les vêtements et grâce auquel on pourra comprendre avec des photos et des vidéos le voyage du vêtement.

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Lexique

 

Sourcing : le sourcing dans le domaine de l’habillement est un terme anglais désignant l’action soit de chercher et trouver un(e) produit/matière première en particulier, soit de rechercher toutes les informations nécessaires permettant de savoir comment un produit est fabriqué.

 

Fairtrade (label) : organisation certifiant les marchandises issues du commerce équitable et dont la production répond à certains critères sociaux, écologiques et économiques.

 

GOTS : abréviation de Global Organic Textile Standards, cette certification garantit l’origine biologique d’un produit textile.

 

Upcycling : cousin du recyclage, ce terme anglais désigne la revalorisation de produits déjà utilisés.

 

 

Retrouvez l’intégralité de l’interview de  Camille Le Gal et Laure Betsch
par Elsa Pereira dans le Volume 8 des Confettis, disponible sur notre boutique.