Talents

La voix des vigneronnes

Longtemps masculin, le milieu du vin a connu une féminisation accélérée lors des vingt-cinq dernières années. Trois vigneronnes passionnées évoquent leur métier le temps d'une rencontre.

Le 4 septembre 2023

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Avec des vies ouvertes aux quatre saisons et au grand air, des agendas bien remplis, il a un peu fallu s’organiser pour vraiment prendre le temps de parler vin et carrière avec nos témoins. Il n’était pas question d’un petit coup de fil vite fait comme un petit blanc pris sur le zinc entre deux courses. Non il fallait du temps pour plonger dans leurs histoires aux robes multiples, aux tanins marqués. Et de bonne grâce, nos interlocutrices se sont libérées, au cœur de journées souvent très prenantes pour parler d’elles et de leur passion, avec enthousiasme. 

Vigneronnes : ceci est leur sang

Sabrina Pernet, directrice technique chez Château Palmer (66 hectares), une des plus belles références en vin de Bordeaux, a alors détaillé, entre deux passages au pressoir, comment elle a prêté « sarment » : « J’ai grandi au milieu des fermes et j’ai toujours eu l’idée de faire de l’agronomie mais je ne savais pas vraiment quoi. Quand je suis arrivée à Bordeaux pour faire l’Enita (École nationale d’ingénieurs des travaux agricoles, ndlr), je n’avais jamais bu de vin. Et mes parents n’étaient pas du milieu. Mais j’ai découvert la viticulture, les cépages, la vinification. Et j’ai rencontré des gens passionnés donc passionnants. J’ai fait des stages enrichissants. Et à partir du moment où j’ai commencé, je n’ai plus arrêté. La vigne, on la travaille toute l’année : on la voit grandir, on la taille, on en récolte les fruits et on les transforme. Il n’y a pas beaucoup de filières agricoles comme ça. C’est ce qui m’a toujours plu. » 

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Sabrina Pernet

Pour Laureen Baillette, qui perpétue, auprès de sa mère et depuis l’âge de 20 ans (et le décès prématuré de son père), la tradition familiale, les choses se sont faites de manière plus naturelle quoique soudaine : « Quand on est d’une famille de vignerons, on est vigneron. Après, la passion, l’amour du vin, du travail bien fait grandissent avec l’enfant. Chez nous, mes parents en parlaient tout le temps, j’ai vraiment baigné dedans… Il était prévu que je revienne sur l’exploitation vers mes 35 ans car c’est une petite propriété de 5 hectares sur laquelle on ne peut pas vivre à plusieurs familles, mais j’ai repris le flambeau plus tôt que prévu quand mon père est parti. J’ai fait l’école d’Avize (Viti Campus, ndlr) puis une licence de commerce international, mais ça n’a pas été évident car c’était suite à un drame. Je n’avais pas choisi cette situation. Il a fallu faire face. J’ai foncé tête baissée. »

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Laureen Baillette ©fabulleusesdechampagne

Un peu comme Sandrine Goeyvaerts, caviste et autrice, qui a choisi un autre chemin pour vivre du vin : « Enfant, j’avais deux passions : les bouquins et la nourriture. C’est donc assez naturellement que j’ai appris à lire dans les livres de cuisine. Ça ne m’a jamais quittée. Et quand est venu le temps des études, on m’a orientée vers une filière littéraire, latin/grec, pour qu’au final je me dise qu’il me fallait quelque chose en prise avec le réel. Je suis alors tombée sur un grand caviste aux yeux verts qui m’a emmenée choisir des bouteilles avec lui. J’ai goûté des vins fabuleux et j’ai su que je voulais être dans la gastronomie. En cuisine, je faisais trop de bruit, trop de blagues, alors j’ai été poussée vers la salle et le métier de sommelière… J’ai gagné quelques concours et puis je suis devenue caviste car je n’avais pas l’âme d’un manchot ! Puis j’ai écrit. J’ai tout fait en avançant comme un Panzer sans me soucier des autres. Même si j’ai longtemps été la seule à faire ce que je faisais. »

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Sandrine Goeyvaerts ©Debby Termonia

Imposer sa légitimité 

Se faire une place, gagner en crédibilité n’a pas toujours été simple pour nos trois passionnées. Sabrina Pernet se souvient : « La place des femmes dans le vin s’est améliorée ces dernières années mais je me souviens que quand j’ai démarré chez Château Palmer, je n’avais pas d’homologues féminines dans des propriétés du même niveau. Je me souviens que lors du 2e entretien effectué pour le poste, il y avait une dégustation à l’aveugle, qui est un exercice où il faut beaucoup d’humilité car on peut se tromper sur des choses simples. Ce jour-là ma bonne étoile brillait et j’ai fait 6/6. Ça a rassuré les propriétaires qui n’étaient peut-être pas forcément motivés pour embaucher une jeune femme de 30 ans. » Un fait loin d’être anecdotique pour celle qui avait été écartée d’un précédent poste en raison de sa première grossesse… 

De son côté, notre Champenoise pense que c’est le temps qui a permis d’asseoir son statut : « Quand j’ai démarré, j’avais 20 ans, j’étais une femme, je trouvais que l’on ne nous trouvait pas crédible. Peut-être que c’était plus lié à ma jeunesse, je ne sais pas vraiment. Mais ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui on vient aussi chez moi parce que je suis une femme. Les gens sont en recherche de vigneronnes. Et ce même si je ne pense pas qu’il y ait une façon féminine ou masculine de faire du vin. Être consciencieux, avoir l’amour de son métier, ça n’est pas lié à un sexe… »

Une évolution qui trouve de l’écho auprès de l’autrice de l’ouvrage Vigneronnes : « Quand j’avais 20 ans, on ne parlait pas de représentativité. Avec le recul, je me dis que certaines choses auraient pu être plus faciles si j’avais été un homme. Au final batailler plus m’a peut-être rendue meilleure. Mais tout le monde n’a pas cette ressource et c’est injuste pour celles qui peuvent souffrir de cela. »

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©unsplash

Avancer pour (s’)inspirer

Humbles et déterminées, nos interlocutrices ont en commun l’envie d’aller toujours plus loin dans leurs projets, de faire toujours mieux pour elles. Et peut-être aussi un peu pour les autres. « Plus les années passent et plus mes petites certitudes volent en éclat dans mon métier de caviste » constate Sandrine Goeyvaerts. « Je me trouve surprise par des choses que je goûte par exemple. Je suis plus ouverte et j’aime partager. Ces notions d’échange, de partage, de transmission, cela revient souvent chez les vigneronnes rencontrées pour le livre. Les problématiques écologiques et environnementales sont d’ailleurs souvent portées par les femmes. » À la tête de 60 personnes chez Château Palmer, la mère de trois filles aime à fédérer autour d’elle : « Ici on a une vision holistique de l’agriculture et quand j’ai proposé de passer en biodynamie, il a fallu, non pas convaincre, car il y a une idée de soumission, mais rallier au projet. Et c’est le genre de chose que l’on arrive à faire par l’exemple, en étant présente sur le terrain, en déployant une énergie réelle. Ce que j’aime pour avancer, c’est échanger. J’aime travailler avec des gens qui ne sont pas forcément d’accord avec moi. Quand il y a un avis, argumenté, qui n’est pas le même que le mien, cela fait progresser tout le monde. »

Et ce aussi entre pairs. « À titre individuel, je recherche une perpétuelle amélioration de mes vins. Je fais tout par moi-même. Mais je fais aussi partie d’une association, les Fa’bulleuses, avec d’autres vigneronnes parce qu’on s’est rendu compte que l’on avait les mêmes problématiques » circonscrit Laureen Baillette. « Cheffes d’entreprises, vigneronnes, mères, ça n’est pas simple de tout concilier. On s’est dit qu’entre femmes on pouvait se parler de manière plus décomplexées, avec moins de tabous, de ce qui marchait ou pas pour nous. Du coup on s’aide aussi pour la vinification. Chacune a ses domaines de prédilection et apportent aux autres, car on est toutes à des stades différents d’indépendance. Et puis cette association nous permet aussi d’avoir un impact commercial. » Un cercle vertueux qui permet de toujours voir le verre à moitié plein !

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©unsplash

Ce dossier sur les femmes vigneronnes rédigé par Antoine Bréard est à retrouver dans le Volume 7 de notre revue Les Confettis.