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Fiona Schmidt nous décomplexe !

Autrice féministe, Fiona Schmidt pulvérise les injonctions faites aux femmes dans ses ouvrages. Alors que cette année paraît son livre Veille Peau - éditions Belfond - soit une déconstruction des mécanismes qui alimentent l'âgisme que subissent les femmes, Les Confettis avait rencontré la journaliste/écrivaine lors de la sortie de son livre Lâchez-nous l'utérus. Dans ses pages, une réflexion pertinente et engagée qui décorrèle épanouissement personnel et maternité. Entretien.

Le 2 octobre 2023

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Fiona, il est difficile de se tenir en face de vous sans se demander d’où vous tenez cet engagement. De l’extérieur, cela donne l’impression qu’il est en vous depuis toujours, est-ce vrai ?
C’est une impression car il n’a pas été là depuis toujours. Je me suis « radicalisée » il y a environ cinq ans. J’ai été une féministe passive pendant très longtemps, c’est-à-dire que si le sujet arrivait dans une discussion, je répondais par l’affirmative. Oui, dans mon esprit j’étais féministe mais, à l’époque, il n’y avait pas cette conscience. Le féminisme était finalement quelque chose que l’on associait aux Chiennes de garde, et qui ne me représentait pas. J’étais donc de celles qui se disaient féministes tout en pouvant rétorquer : « Oh ça va, il y a quand même pire ailleurs ! » Il m’arrivait même de commencer mes phrases par « Je suis féministe mais… » Ce qui me poussait à me considérer féministe était qu’à mon sens, l’inverse de cette conviction était le sexisme et que ça n’était pas tolérable comme philosophie. Néanmoins, je n’étais pas militante. Par ailleurs, je travaillais dans la presse féminine, et il est difficile de dire que les idées que l’on y trouve puissent être le terreau du féminisme. Pendant très longtemps, je ne me suis pas autorisée à interroger les gens, les femmes, les hommes sur la question du féminisme car il y avait, au fond de moi, cette idée que ce genre de discussion était réservée à une élite qui avait lu l’intégralité des œuvres de Simone de Beauvoir. Et c’est finalement un ensemble de choses qui a transformé ma sensibilité en engagement. La première étape a été mon départ de la structure de presse dans laquelle je travaillais, période qui a coïncidé avec un questionnement introspectif autour de la représentation de la féminité que je participais à véhiculer depuis tant d’années. Et puis, le déclic ultime a été la lecture du livre de Roxane Gay, Bad Feminist, sur lequel je suis tombée par un heureux hasard. Je crois qu’il y a la Fiona d’avant ce livre et la Fiona d’après. C’est drôle d’ailleurs car les livres de Virginie Despentes et Virginia Woolf n’ont pas eu autant d’impact sur moi que Bad Feminist. Je crois que Roxane Gay a touché ma corde sensible car elle écrit et décrit, avec finesse et humour, comment le féminisme est une chose qui appartient à toutes les femmes, peu importe leurs contradictions d’être humain et leur statut social. Elle a participé à conscientiser ma légitimité dans ce débat.

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Pour quelles raisons, selon vous et encore aujourd’hui, faut-il être mère pour être considérée comme une vraie femme ? Pourquoi est-ce si compliqué pour une femme de dire : « je n’ai pas d’enfants et je n’en veux pas » ? 
Ce qui est étonnant, c’est qu’environ cinquante ans après la légalisation de la pilule contraceptive et l’IVG, les préjugés entourant la féminité n’ont pas beaucoup évolué. Et l’éducation non plus. La maternité fait toujours intrinsèquement partie du processus d’apprentissage de la féminité. Il suffit de voir avec quels jouets jouent les petites filles. Elles ont des poupons dans les bras. Plus tard à l’école, entre filles, elles s’amuseront à s’interroger sur combien elles auront d’enfants et avec qui elles se marieront. C’est une véritable boucle temporelle ! Depuis des générations ces jeux forment la sociabilisation des petites filles. C’est quelque chose que j’ai toujours trouvé absurde d’autant que mes parents ne m’ont pas du tout éduquée comme ça. Mes parents étaient des étrangers qui vivaient à l’étranger, donc nous évoluions en vase clos. Ce qui m’a finalement permis de me constituer en outsider et d’avoir du recul face aux habitudes culturelles des autres. C’était aisé pour moi de voir que les petits garçons ne jouaient pas à reproduire des scènes de paternité. Très tôt, j’ai compris que l’on programmait plus ou moins consciemment les petites filles à se projeter dans un rôle de mère. Sans jamais leur faire comprendre que tout ça est une affaire de choix ! Alors que la paternité ne fait absolument pas partie du processus de socialisation des garçons. Certains petits garçons sont même stigmatisés quand ils jouent à pousser une poussette ! D’ailleurs, au-delà de la discrimination, cela révèle que c’est dépréciatif de jouer un rôle de maman pour un garçon… Ce sont des codes que l’on ancre tellement tôt dans le développement des enfants qu’il est logique (et triste) que la pensée divergente – celle qui vise à se détourner de la maternité – soit encore source de virulence. 

Quelle est votre volonté Fiona avec le livre Lâchez-nous l’utérus ?
L’envie d’écrire un livre sur mon non-désir d’enfant – et le fait que cela pose un problème à tout le monde sauf à moi – est présente en moi depuis longtemps. J’en reviens à la question de la sociabilisation qui est cruciale selon moi. À mon âge, les interactions sociales que certaines femmes ont avec moi se résument à « Vous avez des enfants ? », « et vos enfants ? », avant même de me demander mon prénom ! Quand je dis que je ne désire pas d’enfant, on me dit des choses comme « Ah mais tu as été violée, c’est pour ça ? » Face à ce genre de réactions, ça m’apparaissait nécessaire d’écrire un livre car, au-delà des commentaires et des critiques que je pouvais recevoir, il était normal pour la plupart des gens d’attendre mes explications. Par ces initiatives, je voulais que l’on se rende compte ensemble de la violence dont il est question. Je ne souhaitais pas fondamentalement parler de mon expérience mais je voulais mener vers une prise de conscience collective. J’ai enquêté sur le « pourquoi » : pourquoi cinquante ans après la légalisation de la pilule et de l’IVG, la femme qui ne veut pas être mère est considérée comme contre nature ? Ce qui m’a amené à considérer les relations que les mères avaient, elles-mêmes, avec leur propre maternité. C’est là, véritablement, que j’ai compris que cette question de la maternité posait problème à toutes les femmes en leur for intérieur. Car les mères sont, elles-mêmes, confrontées au jugement, d’une exigence maladive, de la société. Le cahier des charges pour être une bonne mère est assez dense et stricte, c’est le moins que l’on puisse dire (rires).

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Illustration par Mathilde Bel

Quels seraient, selon vous, les chantiers prioritaires à lancer pour que les choses bougent ?
C’est une sacrée question, parfois je me dis qu’il nous reste tant de chemin à faire ! Finalement, dans les années soixante-dix, des femmes engagées et féministes, comme Elisabeth Badinter, voyaient la maternité comme une aliénation car cela obligeait la femme à rester au foyer. Elles se sont donc battues pour que l’accès à la contraception et l’IVG soient des outils de régulation de la maternité. Ce n’étaient pas des initiatives pour affranchir les femmes de la grossesse. La volonté des femmes d’avoir des enfants, ou non, n’a jamais, même à ce moment-là, été de l’ordre de la politique, cela devait rester dans la sphère privée. Ce qui fait qu’aujourd’hui, la femme est toujours soumise à un système de norme la poussant vers la maternité comme un « passage obligé ». De la même manière, ce ne sont pas les féministes qui ont, pour la première fois, parlé des violences obstétricales. Je pense donc que la première chose à faire, c’est de parler, de s’exprimer, de s’écouter et de soutenir celles qui le font. 

Quel regard portent vos parents sur votre parcours ? 
Ils sont fiers (sourire). J’en ai voulu à mes parents pendant longtemps de m’avoir donné une éducation aussi libertaire car je n’avais pas de limites définies. Mais quand je prends le temps d’y réfléchir, je trouve que j’ai eu beaucoup de chance car en me laissant le champ libre, je me suis construit selon mes propres règles.

Retrouvez l’intégralité de cet échange avec Fiona Schmidt dans la revue LES CONFETTIS Volume 8