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Rencontre avec Marie Pidancet, fondatrice de Louise Misha

En 2012, Marie Pidancet imaginait Louise Misha. Une marque de mode pensée pour les enfants : teintée d’insouciance, libre et bohème, sans autre prétention que de se faire plaisir. La fondatrice retrace avec nous ces dix dernières années d’aventure entrepreneuriale.

Le 25 septembre 2023

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Marie, vous avez fondé la marque de mode enfantine et lifestyle Louise Misha avec une amie en 2012. Racontez-nous la genèse de cette aventure…
Je crois que j’ai toujours su qu’un jour j’aurais ma marque mais j’ai travaillé pendant plusieurs années comme styliste. Arrivée à mes 30 ans, j’ai eu de plus en plus de mal à réaliser les idées des autres, à exécuter autre chose que ma vision. Je sentais que le moment d’engager autre chose était venu. À la même période, mon contrat s’arrêtait, mes sœurs avaient deux petites filles que je m’imaginais habiller… Je me suis donc associée à une amie qui, elle aussi, avait une sœur jeune maman et ressentait la même énergie. J’avais envie d’être libre de créer, d’être à l’écoute de mon imagination et je sentais que la mode enfantine pouvait être un terrain de jeux extraordinaire. Paradoxalement, je ne m’imaginais pas du tout à la tête d’un tel business, je ne me projetais absolument pas dans le développement de la marque. Tout ce que je voulais, à ce moment-là, c’était me faire plaisir et suivre mes envies. Je crois que j’avais accumulé une certaine frustration en travaillant auparavant dans la mode féminine. Je n’adhérais pas toujours aux manières de faire les choses, aux mentalités. Louise Misha a été ma façon de m’affranchir de tout ça.

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@Louise Misha

Vous sentiez-vous assez armée et (r)assurée pour vous lancer quand vous avez pris la décision de ne pas renouveler votre contrat dans la mode féminine ?
Avec du recul, dix ans après, je crois que je n’étais pas totalement prête à ce qui m’attendait (rires). J’avais huit ans d’expérience dans la mode, un réseau dans le secteur alimenté par de nombreux voyages… J’étais tout de même mieux préparée et plus mature qu’à la sortie d’école. Pour autant, je n’étais pas consciente de tout ce que Louise Misha allait représenter en temps, en effort, en investissement. Mais quand on lance un tel projet, quand on démarre une aventure entrepreneuriale, il me semble qu’un peu d’inconscience ou de naïveté est salutaire. Si l’on sait à l’avance ce que l’on va traverser, alors on n’y va pas ! Le chemin est ponctué de péripéties.

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@Louise Misha

Vous travaillez de manière assez étonnante avec votre amie et associée Aurélie Remetter…
Lors d’un voyage que nous avons fait ensemble, Aurélie a rencontré un Australien qui faisait un tour du monde. Ils sont tombés amoureux, se sont mariés et pendant des années nous avons développé Louise Misha à distance, ce qui explique l’ancrage et la diffusion à l’international de la marque. Mais, au bout d’un moment, ce fonctionnement est devenu trop compliqué à gérer. Au fil du développement de l’entreprise, la distance Paris-Australie devenait problématique d’autant que nous sommes également devenues mamans durant cette période. Aurélie a donc quitté l’entreprise il y a quatre ans maintenant, et je me suis de nouveau associée à une amie – Claire Moulin – qui s’occupe de la partie financière, commerciale et administrative. Elle me complète car ce ne sont absolument pas mes domaines de compétences (rires) ! Je suis très heureuse de cette collaboration car on s’apporte énormément, je peux m’occuper de l’image et de la création tout en sachant que j’ai une alliée de confiance dont l’expertise me sécurise. Nous ne partageons pas la même vision des choses mais nous avons le même objectif, et c’est ce qui nous tire vers le haut. Cette relation de complémentarité est essentielle à mon sens pour la viabilité de l’entreprise : nous ne sommes pas interchangeables. Je crois que c’est véritablement l’arrivée de Claire qui a structuré l’entreprise car, à partir de là, nous avons pu commencer à grandir et à embaucher durablement.

Jusqu’à l’arrivée de Claire, comment gériez-vous cette casquette de manageuse ?
Ce n’était vraiment pas évident car je suis très introvertie. J’ai toujours aimé faire les choses dans mon coin et à ma manière. Je n’avais pas conscience que faire était si différent que de faire faire. De ce fait, les premiers recrutements que j’ai pu initier n’étaient pas toujours fructueux. Je ne savais pas dans quelle posture me mettre, j’avais de très hautes exigences et cela desservait mes interactions avec mes collaborateurs. J’étais sûrement trop impliquée personnellement. Heureusement, aujourd’hui, les choses sont différentes, elles ont évolué grâce à Claire notamment et aux enseignements de l’expérience. Désormais, nous sommes quarante dans l’entreprise et nous avançons grâce à une dynamique de partage que je trouve géniale. Je suis ravie de pouvoir salarier d’anciennes stagiaires qui nous accompagnent depuis si longtemps ! Depuis quelques temps, ma soeur nous a rejoint également (rires) ! Pour certains recrutements, nous faisons appel à des agences spécialisées car trouver les bonnes personnes pour des postes dont nous avons besoin mais que nous ne connaissons pas, est très compliqué à appréhender. Nous mettons également un point d’honneur à ne recruter que des personnes qui correspondent aux valeurs de l’entreprise.

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@Louise Misha

Votre marque est empreinte de liberté, jusque dans son autonomie financière. En effet, vous grandissez sans investisseurs. Pourquoi ce choix ? Dans un environnement aussi concurrentiel que celui de la mode enfantine, revendiquer son indépendance n’est-ce pas prendre un trop gros risque financier ?
Cela représente beaucoup de pression effectivement. Nous avons des productions de plus en plus importantes à financer et une masse salariale qui croit également. C’est évidemment une bonne dynamique en termes de développement mais c’est aussi très lourd financièrement parlant. Je détesterais me retrouver dans une position où le coût de la croissance de mon entreprise la met en péril. Ainsi, bien que je ne sois pas à l’aise avec l’idée de devoir rendre des comptes, je ne peux pas dire « jamais ». Peut-être qu’un jour l’avenir de Louise Misha sera conditionné par le financement d’un investisseur. Si c’est inévitable, alors j’aimerais d’autant plus que cet investisseur soit ouvert au dialogue, à l’échange et prêt à nous orienter dans la structuration de l’entreprise.

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@Louise Misha

Au-delà de cette volonté de liberté, la notion de multiculturalisme est également très présente dans votre ADN de marque. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Premièrement, par notre philosophie bohème, nous tirons beaucoup d’inspiration du voyage. C’est très important pour moi car c’est résolument constitutif de mon identité. Grâce à mes voyages, j’ai découvert des artisanats incroyables qui sont, à mon sens, une illustration de la richesse de ce monde. Je voulais absolument que l’on retrouve cela au sein des collections Louise Misha, que l’on sente que chaque vêtement est unique par sa technique artisanale de fabrication et son potentiel de transmission. Or, à l’époque, cette considération pour l’artisanat, indien notamment, ne se retrouvait que dans l’univers de la mode féminine. Selon moi, il était logique de pouvoir également proposer aux petites filles de porter un vêtement unique, riche de sens et de culture. Aussi, je crois que nous avons fait le choix d’une représentation plus réaliste. Mon enfant est métisse et, il y a encore dix ans, je ne voyais pas d’enfants typés comme lui dans l’univers du prêt-à-porter enfant. Perpétuer ce schéma était inconcevable pour moi. Je ne voulais pas d’une mode enfantine que l’on pourrait penser réservée aux petites blondinettes. Aujourd’hui, les choses évoluent et de nombreuses marques restituent la diversité à travers leurs jeunes modèles, mais quand nous avons lancé Louise Misha, c’était sûrement précurseur et différenciant. Enfin, je pense que le fait que nous réalisions 70 % de notre chiffre d’affaires à l’étranger participe à nourrir nos perspectives d’ouverture.

L’Inde semble être l’une de vos principales références. Qu’est-ce qui vous lie particulièrement à ce pays ?
C’est un ensemble de choses. J’aime l’esthétique de ce pays. La considération pour la couleur et les motifs me fascine. L’importance de l’artisanat traditionnel et manuel dans leurs coutumes est également une source d’émerveillement infinie. C’est une vibration globale, une expérience sensorielle frénétique. Je ne parviendrais pas à tout formaliser par des mots mais la spiritualité qu’abrite l’Inde est bouleversante. Tout est si intense là-bas, si tranchant. Les sons, les odeurs, les goûts, les paysages… tout est matière à une fabuleuse immersion qui nous transforme en profondeur.

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@Louise Misha

Au départ, Louise Misha était une marque de mode enfantine uniquement. Aujourd’hui, d’autres ramifications se sont dessinées. Une ligne plus lifestyle et une gamme à destination des femmes se sont ajoutées à vos productions. Comment articulez-vous tout cela ?
Tout est pensé ensemble, au même moment, au même endroit, dans une direction commune. J’imagine, avec les trois stylistes de la marque, les lignes femme, lingerie, maillots de bain, fillette, garçon et maison selon une même dynamique. Même si nous ne déclinons pas nécessairement les mêmes tissus et motifs en fonction des gammes – en raison des contraintes et des disponibilités –, c’est important pour moi de concevoir un univers cohérent et complet. Les imprimés et les couleurs sont souvent en mix and match selon les lignes pour que la collection soit en synergie.

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@Louise Misha

Comment parvenez-vous à vous renouveler tout en exprimant cette signature bohème reconnaissable ?
Je prends le parti de ne pas trop y réfléchir car, sinon, je trouve que cela représente une pression supplémentaire et inutile. Je fais confiance à la tournure naturelle que prennent les choses. Mes nièces ont grandi et elles m’inspirent de nouvelles choses. J’attends un bébé et c’est également une aventure maternelle qui m’ouvre de nouvelles perspectives. Bien que nous ayons deux collections par an, je ne veux pas tomber dans l’éphémère. J’imagine Louise Misha comme une griffe identifiable mais je ne souhaite pas m’arrimer aux tendances qui vont et viennent. La marque porte en elle des valeurs de transmission, de durabilité, d’intemporalité qui sont pour moi peu compatibles avec la fugacité et la standardisation de la mode par les temps qui courent.

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@Louise Misha

Vous avez emménagé dans un nouveau lieu à Paris. Cette « maison-bureau » comme vous l’appelez est un showroom, mais également un espace où toutes vos équipes vont pouvoir travailler. Comment avez-vous pensé cet écosystème ?
Nous avons fait le choix de rassembler nos quatre différents pôles (style, production, commercial et communication) dans un même lieu, au sein d’espaces facilitant les interactions, car nous avons toujours besoin d’être en relation les uns avec les autres. Je dois avouer qu’au départ, nous ne cherchions pas un espace showroom mais j’ai eu un énorme coup de cœur pour l’endroit. Bien que délabré, je voyais le potentiel. L’âme du lieu m’a tout de suite frappée. Évidemment, ça aurait été plus simple d’intégrer des bureaux propres et opérationnels à Châtelet (rires), mais au fond de moi, je savais que cet endroit pouvait offrir à la marque un fabuleux terrain d’expression. C’est une hybridation entre un lieu d’évènementiel, de travail, presque de vie !

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@Louise Misha

Auriez-vous quelques conseils à donner aux entrepreneuses de demain ?
Demandez de l’aide ! J’ai perdu du temps à faire des erreurs, à prendre de mauvaises décisions car je n’avais ni les bonnes informations ni la juste expertise. N’hésitez pas à faire appel à votre réseau, à vous entourer. Par peur de déranger, de décevoir ou d’être jugée, on préfère souvent, notamment les femmes, rester dans notre bulle sans oser demander de l’aide et pourtant, je crois que c’est vraiment l’un des plus mauvais choix en tant qu’entrepreneuse. Vos idées valent le coup, demandez de l’aide pour les faire avancer !

Marie Picandet et sa marque Louise Misha sont à retrouver dans le numéro 11 de la revue Les Confettis.