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Mireia Ruiz, couleurs sans complexe

Sur les toiles de l'artiste barcelonaise Mireia Ruiz, les couleurs sont des héroïnes et offrent à cette graphiste de formation, un second souffle entre sentiments et émotions. Rencontre.

Le 25 octobre 2021

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Mireia, vous êtes graphiste, peintre mais aussi scénographe et l’on reconnaît vos œuvres grâce à leur énergie ultra-colorée et au mix and match de leurs motifs. Avez-vous toujours su que vous vous épanouiriez dans le domaine artistique ?

J’ai toujours aimé la peinture. Petite, c’était un jeu pour moi. D’ailleurs la plupart de mes amies n’étaient pas aussi enjouées que moi à l’idée de peindre. J’aurais souhaité emprunter la voie des beaux-arts mais je n’avais pas réellement de soutien dans mon environnement familial, ce qui compliquait ma situation. Alors mon professeur de dessin de l’époque m’a encouragé à suivre une formation dans le graphisme. Une direction que mes parents voyaient d’un meilleur œil. Après mes études, j’ai exercé le métier de graphiste pendant de nombreuses années, jusqu’à ce que je décide de révéler ma profondeur artistique sous un autre jour. Je suppose que je ne pouvais plus réprimer cette partie de moi, ce besoin latent devait s’exprimer.

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Quelle est votre relation avec la couleur ? À quel moment de votre processus créatif, la couleur prend-elle place?

La couleur et moi sommes amies depuis l’enfance. Je suis née dans les années quatre-vingt et les couleurs m’ont bercée jusqu’à pleinement s’exprimer dans mon travail. Je me souviens aussi que ma mère insistait beaucoup sur la combinaison des couleurs dans mes tenues : mes chaussettes devaient être combinées avec ma chemise et ainsi de suite avec l’ensemble de mon armoire. J’ai aussi eu des moments où je portais du bleu, du rouge ou du rose de façon unie. La couleur est une manière d’exprimer toute la joie de ma personnalité, c’est plus puissant que ce qu’on ne pense. La couleur est un message, une force que j’essaie de faire passer par mes travaux.

 

Dans mon processus créatif, le choix de la gamme de couleurs est l’un des moments les plus importants, cela dépend de ce que je ressens et de ce que je veux transmettre. Je lui donne une très grande importance, c’est une étape clé.

 

Vous dites avoir été très admirative et très inspirée par le mouvement Memphis quand vous étiez plus jeune. Comment interagissez-vous avec cette forme de surréalisme ?

Je suis née en 1983, force est de constater que depuis mon enfance, ce mouvement s’est gravé en moi, à cause des imprimés, du mobilier coloré : c’était une nouvelle façon de percevoir les objets qui nous accompagnent et l’énergie qu’ils transmettent. La couleur permet d’envoyer un message sensoriel, qui passe par un filtre social et individuel. Ce processus est largement contrôlé par le subconscient et l’expérience de chaque individu, il est donc difficile de le rationaliser, je pense que c’est le point commun entre la vision surréaliste et la couleur. Deux concepts qui me parlent.

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Vous peignez sur les murs, sur la céramique, sur le bois, sur les vêtements, peu importe la surface tant que vous avez la possibilité d’exprimer votre amour pour la couleur et les motifs ?

Aujourd’hui, nous sommes très conscients de la complexité du monde et de l’être humain, cette réalité est dure et triste. J’essaie de créer une parenthèse mentale à l’intérieur de ce quotidien parasité par la négativité. Sur un plan formel, je recherche souvent des paysages qui n’existent pas, des lieux imaginaires. J’aime l’abstrait et les formes géométriques, j’apprécie les répartir en couleurs sur différentes surfaces. Je pense que c’est un jeu thérapeutique pour moi, c’est comme être à nouveau une petite fille et jouir d’une certaine innocence, d’un idéalisme.

 

À quelles difficultés faites-vous face dans votre quotidien d’artiste indépendante ?

Le plus souvent, la problématique est celle du temps d’expérimentation. La société est très exigeante en matière de temps de production, mais aussi en matière de rémunération. Je consacre beaucoup de temps au coté « commercial » de mon statut : je réponds aux mails, aux propositions de budget et finalement, la création ne vient qu’ensuite, sur un temps donné, parfois restreint. C’est un défi auquel on se confronte automatiquement en tant qu’artiste indépendante. Il y a des artistes talentueux partout dans le monde, se faire une place sur le marché devient un défi quotidien, qui demande du temps, du risque et de la persévérance.

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En tant que graphiste vous travaillez principalement sur ordinateur et en tant qu’artiste-peintre, vous faites appel à votre talent manuel. Appréciez-vous autant l’un que l’autre ? Votre processus créatif est-il le même dans les deux configurations ? 

J’ai une préférence pour le travail manuel que je trouve plus libre et spontané, même s’il finit toujours par être numérisé sur une photo. Quant au processus, il est finalement assez similaire : penser à une idée, l’esquisser et la formaliser. L’outil, lui diffère évidemment, vous donnant un éventail de finitions particulières. Tout est appréciable et légitime à mes yeux car ce qui compte, c’est bien la mise en forme du concept, la concrétisation de l’idée.

 

Vous réalisez de nombreuses collaborations avec des marques notamment. Diriez-vous que ces partenariats sont les garants de la visibilité des jeunes artistes aujourd’hui ? Travailler main dans la main avec une marque est-ce le meilleur tremplin ?

Je vois mes différentes collaborations avec des marques comme un travail de réécriture de mes œuvres. Certains de mes travaux sont ainsi réinterprétés et reproduits dans le monde du textile, ils passent d’un mur à un vêtement « vivant ». C’est très excitant comme concept ! Au-delà de ça, il est évident que les marques ont une puissance de frappe permettant à nos œuvres de gagner une certaine visibilité. C’est un échange, les marques soutiennent la créativité des talents du monde et nous leur rendons en collaborant avec elles. Je ne sais pas si c’est le meilleur tremplin, mais cela peut être très positif.

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Au-delà de vos œuvres, vous incarnez votre travail, vous êtes le visage de votre « marque ». Pensez-vous que même dans le domaine artistique, l’image de marque personnelle est essentielle au développement ? Comment gérez-vous cela ?

J’ai réalisé que le facteur humain est très important dans tous les domaines, je pense que le public s’intéresse à celui ou celle qui fait, à l’âme créative qui est derrière ce travail et à la manière dont les œuvres sont fabriquées. Cela donne une dimension de proximité au travail de l’artiste. En cela, ça ne me dérange pas de m’exposer et de me montrer à côté de mon travail.

 

Quels conseils donneriez-vous à ces femmes qui n’osent pas se lancer ?

Selon moi, plus tôt les peurs sont éliminées, mieux c’est. S’il réside un besoin d’oser, alors il faut le laisser s’exprimer sans craindre son jugement ou celui des autres. Je suis consciente que ce n’est pas si simple, cela demande des efforts, de la confiance et de la persévérance, mais si nous disons «non» sans essayer, c’est la frustration qui l’emporte et la tristesse peut vite s’emparer de nous. Malgré ce que les autres pensent ou la pression sociale, nous devons oser, nous valoriser et montrer ce que nous sommes capables de créer. Nous pouvons également être des références pour les nouvelles générations de femmes, c’est un devoir que nous devons assumer le plus tôt possible.

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Où trouvez-vous votre dose d’inspiration colorée ?

Ce qui m’inspire se trouve partout. Dans la rue, dans les musées, etc. Toutefois, il y a un endroit que je visite toutes les semaines : le marché d’occasion Els Encants à Barcelone, près du musée du design Dhub. Cet endroit me permet de voir la quantité d’objets que l’être humain élabore, de découvrir à travers eux des époques et des cultures. Chaque étagère ou chaque stand ont leur intérêt. Là attendent des milliers d’objets en quête d’une seconde chance. J’achète de nombreux objets que j’utilise ensuite dans mes œuvres et photographies, c’est un moyen de recycler et de consommer de manière plus responsable.

 

Si vous étiez une couleur, laquelle seriez-vous ?

Quelle question difficile ! En choisir une est si injuste pour les autres ! Mais par conscience féministe, je dirais un lilas ou un violet moyen.

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Retrouvez l’intégralité de l’entretien de Mireia Ruiz avec Perrine Bonafos,
dans le Volume 8 de la revue disponible sur notre boutique.