L’univers de Paumes édition
À la tête de la maison d’édition Paumes, Fumie Shimoji et Hisashi Tokuyoshi accompagnent illustrateurs-trices et designers français sur les chemins du Japon. Découverte de leurs ateliers et créations.
Comment les éditions Paumes sont-elles nées ? Quelles ont été les rencontres à la genèse de ce projet ?
Nous voulions absolument venir à Paris pour un « séjour » de noces plutôt que de réaliser une cérémonie de mariage conventionnelle. Nous souhaitions privilégier l’« expérience ». Alors, des amis japonais nous ont présenté leurs amis français pour que nous puissions être entourés et pas trop perdus. Une fois à Paris, ces mêmes amis nous ont gentiment accueillis. Ils étaient tous adorables et nous ont reçus chez eux et dans leurs ateliers. C’est à ce moment-là que l’on a découvert que voyager et vivre dans une ville offraient deux conceptions des choses très différentes. Nous avions le temps pour appréhender les détails ! Quand nos amis nous ont invités à dîner, nous avons pu visiter leurs appartements, découvrir le style des pièces comme la cuisine, la salle de bain ou la chambre… C’était tellement excitant comme immersion, presque plus que le dîner en lui-même, car il était compliqué de suivre les conversations en français. L’illustrateur et auteur, Hervé Tullet et Marie-Odile Briet, journaliste chez ELLE à cette époque-là, ont été nos premiers hôtes. Nous avons eu la chance d’entrer dans leurs univers. En ayant été de simples touristes, nous n’aurions pas pu avoir ce genre d’occasions. La visite de l’atelier de l’artiste Paul Cox, dans un hôpital, a également été une vraie révélation. C’était mystérieux en raison de l’endroit, mais terriblement excitant !
En revenant au Japon, et avec tous ces souvenirs en tête, nous avons réfléchi à la manière de mettre toute cette énergie à profit. Nous n’étions pas prédestinés à un métier en particulier. Une idée est soudain arrivée : se lancer dans l’édition d’un livre sur Paris qui mettrait en lumière le mode de vie des Parisiens et leurs adresses favorites !
Quels souvenirs forts gardez-vous de votre séjour à Paris ?
Nous sommes restés à Paris durant trois ans et demi, de 1990 à 1994. Mon fils étant né en 1994, au Japon, je me souviens surtout d’être rentrée enceinte jusqu’au cou ! Plus sérieusement, j’imagine que c’est essentiellement la vie quotidienne des Parisiens qui nous a frappés. Nous aimions porter notre regard sur les choses ordinaires qui participaient de la vie des Parisiens. Voir la ville à travers leurs habitudes. Toutes les personnalités étaient intéressantes, tous les profils : du boulanger au poissonnier en passant par le primeur, ils offrent une vision fascinante de Paris et de son métissage. L’administration est aussi particulière (rires). Tout est très différent du Japon !
Par ailleurs, il était plus facile d’être à deux pour traverser les moments de blues. Beaucoup de Japonaises tombaient malade à cause de la solitude ou de la paranoïa à ce moment-là à Paris. Heureusement, nous avions de très bons amis français ! Nous restions toujours avec eux, d’ailleurs aujourd’hui nous travaillons ensemble !
Autre chose importante, à Paris, nous pouvions vivre même si nous n’avions pas beaucoup d’argent. Nous ne pouvions peut-être pas aller dans le super restaurant du moment mais il était possible de bien se nourrir en faisant les courses au marché. On pouvait rêver rien qu’en voyant la tour Eiffel sur un banc, en bord de Seine. Nous n’avions ni envie ni besoin de Louis Vuitton ou d’une table chez Paul Bocuse.
Pourquoi avoir choisi le mot « paume » pour votre maison d’édition et pourquoi sa version au pluriel ?
Peut-être que je m’emmêle avec la grammaire française… mais nous voulions faire comprendre aux potentiels lecteurs que notre univers s’élaborait avec « plein de paumes ». C’est-à-dire que nous travaillions avec beaucoup de gens différents. À plusieurs mains. Au début, nous nous appelions « Jeu de Paume » en référence au ping-pong ! Comme nous travaillons, entre le Japon et Paris, dans un échange perpétuel à la manière d’une partie de tennis de table, nous avions choisi ces mots. Mais un jour, le centre d’art du Jeu de Paume nous a envoyé un email en nous demandant de changer de nom car il recevait trop de messages mal dirigés ! Certaines personnes envoyaient des CV pour travailler à nos cotés, sans savoir qu’ils n’étaient pas au bon endroit ! C’était surprenant mais nous étions heureux de savoir qu’il y avait un tel engouement. Depuis, nous sommes les éditions « Paumes ».
Comment expliquez-vous l’attraction des Japonais pour l’art et l’artisanat français et celle des Français pour la culture japonaise ? Qu’est-ce qui unit ces deux univers ?
Nous sommes très différents mais certains goûts nous rapprochent considérablement ! C’est la raison de ce magnétisme, je pense. Je crois que l’on partage l’amour de l’élégance vestimentaire, la gourmandise et la beauté de l’architecture. Je ne sais pas si c’est un amour des Japonais pour la France en général ou simplement pour la capitale, mais il est certain qu’un magazine sur Paris se vendra comme des petits pains au Japon. Aussi, certaines icones (fictives ou bien réelles) font de Paris, une ville de rêve pour les Japonaises. Catherine Deneuve, Brigitte Bardot, Amélie Poulain, ce sont des références. Évidemment, il y a également Yves Saint Laurent, Chanel, agnès b., les Champs-Elysées ou encore le Marais.
L’amour des Français pour le Japon passe beaucoup par la culture moderne, via les mangas notamment. Cela vient d’un engouement des nouvelles générations. Et c’est ça qui est intéressant, on tisse des liens à travers chaque nouvelle génération.
Pourquoi avoir choisi de représenter Nathalie Lété, Carlotta, Julie Marabelle ou encore Sophie Dutertre ? Qu’est-ce qui vous anime dans leurs créations ?
C’est Hervé Tullet qui nous a présenté Carlotta au moment où nous sommes revenus au Japon. Il nous a proposé de commencer à la représenter auprès des galeries et des médias japonais car il avait l’intuition que, comme elle, de nombreux artistes désiraient avoir une portée en Asie. Nous avons donc également prospecté auprès de Tse Tse et Sophie Dutertre (que Paul Cox nous avait présenté auparavant). Puis de fil en aiguille, nous avons rencontré d’autres artistes comme Nathalie Lété. Julie Marabelle est passée à notre bureau lors d’un voyage en famille. On s’est très bien entendu et nous avons donc commencé à travailler ensemble. Plus récemment, Marie Assenat nous a rejoints. Nous avons d’ailleurs voyagé ensemble en Inde. C’est une émulation collective vraiment impressionnante et bienfaisante.
Vous avez publié de nombreux livres autour de l’art de vivre de différentes familles à Londres, à Paris, mais aussi autour des pâtisseries parisiennes, du jardinage à la finlandaise. Qu’est-ce qui motive chaque ouvrage ? Quel est leur fil rouge ?
Nous avons commencé par les thèmes que nous chérissions le plus comme les visites d’atelier, la découverte de la cuisine et la beauté des chambres d’enfant. Ces inspirations provenaient de leur nouveauté dans notre vie. Cela a toujours été notre fil rouge : ce qui nous frappait à un instant T. Avec le temps et les découvertes, il y a moins de thèmes qui nous surprennent. Alors on joue les curieux et on cherche du coté des tendances. Par exemple, travailler sur le chocolat était une idée pertinente quand Pierre Hermé a ouvert sa boutique à Tokyo. Cela permettait de faire un écho. Nous sommes toujours à la recherche de nouvelles idées qui nous animent.
Comment arrivez-vous à tout rendre si mignon, que ce soit dans vos photos ou dans votre identité graphique ? Quelle place ont les détails dans votre univers ?
Je crois que c’est grâce à la synergie de notre équipe. Notre identité s’est affirmée et a grandi en même temps que nous. C’est harmonieux car notre équipe est en harmonie. Depuis le début, Hisashi fait les photos, la direction artistique, le design et moi la coordination de tout ça !
Ne pensez-vous pas qu’il y a dans tous les pays une idéalisation du mode de vie à la Parisienne ? Est-ce que finalement les étrangers n’aiment pas le Paris d’Amélie Poulain, des Batignolles et du Marais ?
Je ne sais pas si on idéalise la vie parisienne, car les aspects de la vie que l’on montre existent bel et bien. J’imagine que tout ne ressemble pas aux appartements de mes amis et aux ateliers d’artistes, mais c’est une partie de la réalité parisienne que nous voulons faire partager. Il ne faut jamais généraliser. Ce serait trompeur de croire que le Japon n’a également qu’une facette. Je ne crois pas correspondre à l’image de la Japonaise que les gens peuvent avoir, par exemple. Il me parait amusant de faire évoluer les points de vue grâce aux livres et à l’expérience qu’ils nous donnent.
Après je pense que l’on aime bien l’univers d’Amélie Poulain, le jardin des Batignolles et le quartier du Marais, nous, les étrangers, car c’est un Paris proche de la littérature, romantique. Il ne donne pas l’impression d’être parfait, ce sont des endroits vivants avec une âme. D’ailleurs, on aime les photographier car tout n’est pas rangé et pensé par un styliste, ce sont des morceaux de vie et de culture. Et puis si on arrive à faire rêver nos lecteurs en leur ouvrant une fenêtre sur Paris, c’est un grand honneur pour nous. Mais ce que nous voulons, c’est d’abord montrer comment s’organise la vie quotidienne des Parisiens. Hisashi aime ainsi faire des photos en situation sans que personne ne range pour ne pas encourager à l’idéalisation.
On aime bien faire ressentir la vie de tous les jours comme si on voyageait ensemble dans une même embarcation. C’est l’ambition de Paumes : partager avec le lecteur ce que l’on peut découvrir en s’arrêtant un petit moment à Paris.
Retrouvez l’univers des éditions Paumes dans le Volume 5 des Confettis,
disponible sur notre e-boutique.
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