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Sajida Zouarhi, Blockchain architect

À 27 ans, Sajida Zouarhi est l’une des figures montantes de la blockchain en France. Une innovation qui promet d’être aussi révolutionnaire que l’arrivée d’Internet. Rencontre.

Le 16 septembre 2019

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Propos recueillis par Angèle Pelicier  Portraits de Sajida Zouarhi ©Elodie Daguin

 

Quel chemin vous a menée vers la blockchain ?

Après mes études en école d’ingénieur, je suis partie à Grenoble pour faire une thèse chez Orange Labs pendant 3 ans. C’est lors de ma thèse que j’ai découvert la blockchain. J’ai commencé à beaucoup m’y intéresser. J’ai organisé de premières soirées réseaux, cofondé l’association la Chaintech puis le Blockfest, un festival pédagogique sur les blockchains. C’est devenu une passion.

 

La blockchain, tout le monde en parle… Mais c’est quoi au juste ?

C’est une technologie qui permet de stocker et transmettre des informations. Une blockchain – chaîne de blocs en français – s’apparente à un registre décentralisé de données, transparent, facile d’accès, infalsifiable et ne nécessitant aucun tiers. La blockchain fait appel à la cryptographie, aux bases de données, aux mécanismes de consensus, aux réseaux de pair à pair… C’est l’agrégation de tout cela qui est nouveau et qui pourrait avoir un impact sur un très grand nombre de secteurs, bien au-delà de la finance avec le bitcoin. La blockchain n’est pas uniquement une discipline technologique. C’est beaucoup plus ! Ce qui me plaît en travaillant dans la blockchain, c’est que l’on s’intéresse aux interactions humaines et à la notion de confiance, fondamentales dans la société.

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Quel est l’impact social de la blockchain ?

C’est avant tout un outil pour s’autogouverner. À ce titre, la blockchain a un rôle structurant à jouer dans l’économie du partage. Prenons l’exemple d’Uber, la société n’a pas de chauffeurs ni de voitures, sa valeur repose avant tout sur son algorithme. Si les chauffeurs de taxis s’étaient mis d’accord entre eux, ils auraient pu créer Uber ou un algorithme similaire. Faute d’accord, on a laissé la place à un acteur tiers qui a révolutionné le secteur. Mais aujourd’hui ce modèle est dépassé. La blockchain pourrait à son tour disrupter des acteurs tels que Uber en permettant aux chauffeurs et aux passagers de définir leurs propres règles d’interaction, sans être soumis à l’autorité centrale d’Uber. La blockchain est une opportunité pour se fédérer et reprendre le pouvoir.

 

Cette révolution se fera-t-elle en faveur du consommateur ?

Oui, si les choses sont bien faites. Mais pour cela, le secteur doit s’ouvrir à des profils plus variés, qui puissent apporter leur vision du monde et leur expertise métier. La diversité, c’est très important ! Aujourd’hui, ce sont ceux qui développent qui décident – donc plutôt des hommes, jeunes, blancs –, ce qui introduit nécessairement un biais. Il faut inverser le rapport de pouvoir. Les femmes, en particulier, doivent se faire entendre, ne pas se laisser freiner par la complexité technique. La blockchain a une dimension sociale et économique. Je vois cela comme un terrain d’expérimentation entre différents secteurs, différents modèles, différentes générations…

 

Vous êtes « blockchain architect », que faites-vous au quotidien ?

Mon métier est de concevoir des systèmes informatiques qui répondent à un problème ou un besoin. On parle d’architecture car c’est un travail de construction : il faut savoir identifier les technologies dont les propriétés sont intéressantes (cela revient à bien choisir ses matériaux et ses outils), imaginer comment les différents modules du système vont interagir (c’est-à-dire faire un plan complet du système), parfois réussir à « débloquer des verrous » scientifiques et inventer des solutions. C’est cela qui permet ensuite de pouvoir coder un logiciel ou un programme complexe. Aujourd’hui je passe mon temps principalement sur la conception, la recherche et le management de projet. Depuis 2017, je travaille chez ConsenSys, un start-up studio américain qui a ouvert un bureau à Paris. J’y ai lancé le projet HellHound qui porte sur le concept de « privacy by design ».  Comment permettre le respect des données privées dès la conception de nouvelles applications ? C’est l’enjeu de HellHound, une plateforme de « blind computation », dont l’objectif est de résoudre des problématiques de confidentialité.

Les Confettis Sajida Zouarhi

« Blind computation », qu’est-ce que cela signifie ?

C’est de la magie (rires) ! Non, en gros, l’idée est de déléguer un calcul à un tiers sans lui donner accès aux données, qui sont chiffrées. Cette brique technologique pourrait se révéler très utile dans le cadre de mon autre projet, Kidner.

 

La blockchain est un secteur très masculin. Comment tirer son épingle du jeu quand on est une femme ?

Il y a environ 85 % d’hommes ! Et ce taux grimpe de manière significative si l’on regarde les postes à responsabilités. Pas vraiment étonnant car les femmes sont déjà minoritaires dans les écoles d’ingénieurs. La première étape serait d’attirer plus de femmes dans ces filières. Lors de mon premier hackathon à Dublin, nous étions trois femmes sur une centaine de personnes. Quand je suis arrivée, tout le monde me regardait. J’ai pris une grande respiration et j’y suis allée ! Tout s’est super bien passé, j’en garde un très bon souvenir. J’encourage les femmes à faire preuve de plus d’audace, participer aux conférences, venir aux soirées réseaux, s’investir dans l’écosystème. Nous avons besoin d’elles. Il n’est pas nécessaire d’avoir un background technique, le plus important est de comprendre les propositions de valeur de la blockchain. C’est pour cela que j’ai créé « Looking for Satoshi*», un compte Instagram sur lequel je partage des moments de vie, des conférences et des voyages à l’étranger. C’est quoi être une femme dans la blockchain ? Je veux casser les clichés… montrer que cela peut être amusant, faire découvrir différentes facettes. On ne fait pas que « geeker » devant un ordinateur !

 

*Satoshi Nakamoto est le pseudonyme du créateur inconnu du bitcoin.

 

Retrouvez l’intégralité de l’interview de la brillante Sajida Zouarhi
dans le Volume 6 des Confettis, toujours disponible.

Photos © Elodie Daguin pour Les Confettis