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Quand Solange
te parle !

YouTubeuse, cinéaste, actrice, animatrice radio, auteure, Ina Mihalache alias Solange te parle se révèle sous de multiples facettes.

Le 12 novembre 2018

Solange te parle

C’est en 2011 que l’on découvre les premières vidéos de Solange te parle. Avec plus de 200 000 abonnés, elle fait partie des YouTubeuses qui comptent. Ina Mihalache à la ville, compose donc de courtes vidéos où elle se met en scène et questionne des sujets comme le quotidien, le lien à l’autre ou la culture. Malicieuse et tendre, elle expérimente les limites entre espace privé et espace public, avec pour décor l’intérieur de son appartement. Sur un ton satirique, intello ou mélancolique, elle construit une œuvre tout en ambivalence, solaire et lunaire, entre espoir et inquiétude. A la croisée entre la Nouvelle Vague et un discours ultra contemporain, c’est à partir d’un besoin irrépressible de revendiquer une différence, une singularité par rapport à la norme, qu’elle a choisi de créer ses vidéos. Depuis peu, elle opère un virage et fait partie de cette génération d’artistes transdisciplinaires qui utilisent différents médiums pour extérioriser leur discours. Un glissement vers une nouvelle forme d’expression artistique. Elle nous raconte.

Pourquoi avez-vous choisi d’écrire sous forme de vidéos YouTube ?
J’ai un parcours très éclectique mais à l’origine, ma formation est celle d’une comédienne. J’ai eu très tôt un réel besoin d’expression artistique. À Montréal, j’ai fait l’équivalent d’une prépa en arts visuels. Ensuite, j’ai fait des vidéos d’installations et de performances à destination des galeries mais j’avais beaucoup de mal à diffuser mon travail. Il fallait un réseau et des compétences sociales que je ne possédais pas. Quand j’ai découvert YouTube, cela m’a paru évident. J’avais les compétences techniques nécessaires et je savais à peu près ce que je voulais raconter. C’était un dispositif idéal pour moi. Pouvoir publier sans dépendre de personne. YouTube est très démocratique : tout le monde peut créer sans discrimination aucune. J’ai pu y déposer tout ce que j’avais à dire.

Solange te parle

Quelles difficultés avez-vous rencontré dans l’utilisation de ce média ?
Globalement, Internet est le lieu de l’instantanéité. Il faut occuper le terrain si l’on veut être regardé. Il faut être présent et généreux. Si on passe dix ou quinze jours sans publier, on tombe dans l’oubli et c’est encore plus d’efforts pour revenir. Ça demande un travail constant et une omniprésence qui peut être pesante. Un autre aspect de ce média, c’est qu’il n’y a pas de filtre. Je n’ai pas de community manager. Je gère tout, toute seule, ce qui signifie une grande proximité avec les gens. J’ai la chance d’avoir un public plutôt discret et plus âgé que les autres stars de YouTube. Avec d’autres médias plus classiques, comme le livre, le film, il y a un intermédiaire qui fait tampon entre l’artiste et le public. Sur Internet, tout est plus direct, plus intrusif, dans le positif comme dans le négatif. Les gens m’écrivent beaucoup. L’amour peut être débordant, la haine aussi. Je crois sincèrement qu’il faut se mettre des barrières, se protéger, couper Internet, trouver des dispositifs de mise à distance. Et cela est d’autant plus important que mon matériel principal, mon sujet de prédilection tourne autour des thèmes de la vie intime. Il y a une sorte d’exhibitionnisme et de grande proximité dans mes vidéos. Je m’expose aux regards.

Autrement, j’ai pu observer une condescendance des médias traditionnels vis-à-vis des personnalités venant de YouTube. Par exemple, quand on nous demande ce qu’on va faire après, cela sous-entend qu’il y a une date limite à notre travail sur Internet. En réalité, je pense qu’Internet s’impose et a de l’avenir. C’est, au contraire, à la télévision de s’inquiéter. Personnellement, j’ai fait d’autres choses. J’ai réalisé un film, publié un livre, animé des émissions radio. J’ai la chance d’être un peu en marge avec un côté à la fois intello et culturel, de ne pas faire du pur divertissement ou des conseils beauté. Mais je garde une forme de complexe d’autodidacte et je continue à chercher la reconnaissance des médias plus classiques. Mon positionnement artistique est transdisciplinaire. Surtout actuellement, depuis que je suis en résidence au Fresnoy (un studio d’arts contemporains et de diffusion artistique, audiovisuelle et multimédia basé à Tourcoing).

Comment préparez-vous vos vidéos YouTube ?
J’écris très peu mes textes. J’ai l’habitude de dire que j’écris devant la caméra. C’est un processus de « caméra-stylo » qui fonctionne par surgissements. Je fais beaucoup de prises. Je cherche mes phrases, les mots que je veux employer ou ce que je veux dire. J’ai des notes en fonction des thèmes et des vidéos mais ça prend forme devant la caméra. Je laisse la place à l’instantanéité et à la surprise.

Parlez-nous de la différence entre Ina et votre avatar Solange ?
C’est un peu comme Woody Allen et le personnage qu’il joue au cinéma, ou bien Charlot, pour Charlie Chaplin. Solange est très proche de ce que je suis mais elle est moins complexe. C’est une version minimaliste de ma personnalité, avec des traits plus grossiers. Je suis tout ce qu’elle est, mais je suis aussi plein d’autres choses. Par exemple, il y a des faces sombres qui existent en moi qui n’apparaissent pas du tout en elle, car elles ne sont pas charismatiques et que je ne veux pas les rendre publiques.

Solange te parle

Solange te parle

Quel est votre quotidien ?
J’ai toujours eu pas mal de projets en même temps que mes vidéos : de la radio, du théâtre, du doublage. Les vidéos YouTube sont un support très récent, nous n’avons pas suffisamment de recul dessus. Je crois que ça me rassure de ne pas compter exclusivement sur ça. Mon quotidien tourne autour d’une bonne hygiène de vie : faire du sport, méditer, marcher, sortir le chien. L’étape suivante dans ma journée est de trouver un cadre pour la caméra. Quand je vivais encore à Paris, je voulais épuiser les espaces possibles à l’intérieur de mon appartement. Je faisais énormément d’essais de lumière. Et pour finir, c’est trouver la bonne formulation, le bon phrasé. Je tourne environ vingt minutes, je dérushe et commence à créer un discours. Je passe pas mal de temps sur Internet, à chercher des musiques, des effets sonores. Enfin, il y a la gestion des réseaux sociaux.

D’où vient cette volonté d’expression ?
Je suis enfant unique mais mes parents viennent de milieux assez ouvriers. Mon père est un immigré roumain et ma mère est la cinquième d’une famille de dix enfants. Chez moi, il n’y avait pas vraiment de bibliothèque mais mes parents m’ont offert une éducation. Ils ont valorisé la culture tout au long de mon développement. La culture a été une échappatoire. Après il y a eu des « déclics ». Je pense à Sophie Calle, Chantal Akerman, Roman Opalka, John Baldessari, Marguerite Duras ou Samuel Beckett. Des gens qui, à partir du rien, de l’ennui, créent des objets qui aident à vivre. J’ai été inspirée par leur démarche, leurs créations et j’ai voulu faire pareil. Devant l’absence de sens de la vie, il faut trouver l’étincelle là où elle est. Quand j’étais en école d’acteur, je me sentais en décalage, inadaptée. J’avais le sentiment de ne pas répondre correctement aux attentes. C’est un milieu très compétitif, on se compare sans arrêt aux autres. Moi j’avais un côté plutôt solitaire et je trouvais que ce type de personnalité était peu représenté dans la société et dans les médias ! Quelque part, j’avais envie de montrer et revendiquer cette différence. Je voulais interroger le monde et lancer un appel du style « Qui est comme moi ? » Ça se voulait une démarche un peu subversive et provocante. C’était comme un geste de « déculpabilisation » pour tout ceux qui ont ces traits de caractère et qui ne se sentent pas valorisés socialement.

Aujourd’hui, vous explorez aussi d’autres formes d’expression…
Durant cette année de formation au Fresnoy, je construis une installation sonore assez monumentale. Quand je suis arrivée ici, on m’a beaucoup demandé pourquoi je voulais faire cette école. Je pense que c’est lié à un complexe d’autodidacte que j’essaie de guérir ici. Je viens pour me confronter à des exigences plus pointues. Les artistes en résidence ici sortent tous de plusieurs années aux Beaux-Arts. Ils ont tous des profils très atypiques. Je pense que c’est un signe d’ouverture de m’avoir acceptée. Ils ont été sensibles à mon parcours. Ils ont compris que j’avais envie de travailler avec un encadrement, des règles et des échéances. Quand on travaille seul chez soi, les journées peuvent être compliquées. Il faut s’imposer des deadlines tout le temps. Et j’avais envie de faire des rencontres dans ce milieu. En faisant un film, je me suis rendue compte que l’industrie du cinéma me convenait plus ou moins. Par exemple, je n’aime pas les narrations classiques. Ici, je ne me soucie pas de rester dans un genre particulier, dans des contraintes liées à la production de films à destination du grand public. C’est une liberté et un luxe en même temps car les projets sont financés. J’avais envie d’une forme de rupture, de me remettre en question artistiquement parlant et de m’exprimer au travers de nouvelles formes de création.

Retrouvez ce sujet dans son intégralité dans LES CONFETTIS Volume 2

Sujet Par Julie Mendez Photos François Rouzioux