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Stéphanie Maubé

Il y a dix ans, Stéphanie Maubé plaque tout pour s’installer dans le Cotentin et élever des brebis. Elle revient sur son parcours et partage son quotidien de femme, mère, bergère et auteure.

Le 7 septembre 2020

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Stéphanie, comment s’est déroulée votre rencontre avec les moutons ?
Alors que j’avais 27 ans, avec mon ancien compagnon, nous étions dans un gîte en bordure des prés-salés. Un éleveur de moutons nous a invités à le suivre. C’était en pleine période d’agnelage. Mon compagnon l’a suivi pour aller rechercher des brebis restées dans les prés. Quant à moi, il m’a sommée de rester dans l’étable et de faire téter les agneaux. Je n’avais jamais fait ça auparavant, j’étais encore intermittente du spectacle à Paris… J’ai passé toute la nuit en bergerie, ça a été très instructif. La rencontre physique et charnelle avec les moutons s’est faite à ce moment-là. J’ai vécu un moment très puissant. Les brebis sont des animaux assez bas, tout en rondeur, c’est rassurant. Je me suis dit : « C’est ça la vraie vie, c’est ici que je veux être. » Pendant un an, je suis retournée souvent en week-end et en vacances chez cet éleveur puis, à l’issue de ces quelques mois, j’ai commencé à envisager d’en faire mon métier. D’autant que cet éleveur m’avait annoncé son départ à la retraite et sa volonté de vendre son cheptel. Je me suis inscrite au lycée agricole où j’ai suivi une formation d’éleveuse puis j’ai enchaîné des stages dans plusieurs élevages. Je me suis vite rendue compte que cet éleveur ne comptait pas du tout prendre sa retraite, c’était une arnaque ! J’ai alors dû créer mon propre cheptel. Je me suis installée en avril 2011. Seule, car je me suis séparée de mon ancien compagnon, un an avant mon installation. Après cette histoire d’arnaque de reprise d’exploitation, il avait perdu foi dans le projet.

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Comment s’est passée votre installation alors que votre fils avait seulement un an et demi ? Quel impact a eu la maternité sur cette étape ?
C’était rude et en même temps, c’était un formidable carburant. Je réalise maintenant que si je n’avais pas eu d’enfant, je n’en serais pas là aujourd’hui. Je me serais sûrement contentée de commencer petit, de vivre dans une caravane par exemple. Avoir un bébé m’a obligée à prendre une maison, gagner de quoi payer les factures de chauffage, etc. Quand je l’emmenais à la crèche le matin, il devait être propre, bien nourri. Bref, nous devions donner l’illusion d’avoir une vie totalement normale. J’ai maudit la maternité par certains moments et en même temps, Carl, mon fils, m’a permis d’assurer. Durant cette période, je me suis beaucoup référée aux paysannes d’antan et aux toiles de Jean-François Millet dans lesquelles les femmes allaitaient au champ, posaient l’enfant sous un arbre tandis qu’elles travaillaient. Mon fils était souvent en couche dans la bergerie, à jouer avec des crottes de brebis. Ça l’a immunisé contre les maladies du quotidien ! (Rires)

 

Avez-vous eu l’impression de rencontrer des difficultés dans votre installation parce que vous étiez une femme ?
Les gens là-bas étaient stupéfaits, ils ne comprenaient pas pourquoi j’avais choisi de mon plein gré de venir m’installer à la campagne pour exercer une activité peu valorisée et pas rémunératrice. Ils ont essayé de trouver toutes sortes d’explications. J’en ai entendu des vertes et des pas mûres à mon sujet. La rumeur courait que j’avais fui un passé dans le X par exemple… Ce n’était pas de la méchanceté, plutôt des gens qui souffrent, eux, de ne pas pouvoir épouser la carrière qu’ils souhaitent. Et en même temps, je rappelais aux agriculteurs de 70 ou 80 ans, leur mère. Eux ont connu le modèle de la ferme familiale tenue par le couple. Dans la répartition des tâches, l’homme était aux champs et à la culture, tandis que la femme, traditionnellement, était à l’élevage. Une fois adoubée par ces personnes, il a été plus aisé de me faire une place.

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Parallèlement à l’élevage, vous avez également développé une gamme de tisanes et relancé la filière laine dans votre région, comment réussissez-vous à concilier toutes ces activités avec l’éducation d’un enfant ?
Sincèrement, je rends grâce à son papa. Nous sommes séparés mais il est extrêmement présent, nous nous entendons très bien. J’ai deux super ex, le père de mon fils et un homme avec qui j’ai vécu six ans. Nous sommes aujourd’hui séparés mais symboliquement, c’est le beau-père de Carl. Au quotidien, ces deux hommes sont d’une aide incroyable car il y a des périodes où je n’ai pas du tout de temps à consacrer à mon fils et dans ces moments-là, ils m’aident beaucoup. Nous sommes tous les trois liés par un rapport fraternel et de bienveillance. L’amour que nous portons tous les trois à cet enfant nous permet de surmonter facilement nos éventuels désaccords.

 

Vous reste-t-il du temps pour votre vie de femme ?
Pas tellement justement… Mes amoureux ne peuvent qu’intégrer mon rythme de vie, sinon ça ne peut pas marcher entre nous car mon métier a une incidence sur la vie familiale de tout le monde. Cela nécessite beaucoup de tolérance de leur part. Mon compagnon actuel a deux enfants. Nous avons aligné notre quotidien de famille recomposée sur celui des marées et des brebis.

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Votre livre, Il était une bergère, co-écrit avec Yves Deloison est sorti en février. Pourquoi avoir tenu à raconter votre parcours dans un livre ? Quel message souhaitez-vous transmettre ?
C’est Yves Deloison, journaliste, que je connais depuis six ans qui m’a soumis ce projet. Il partage sa vie entre Paris et le Cotentin, nous avons très vite noué un lien amical. Ce livre, je l’espère, apportera une vérité nuancée du milieu. Oui, il est possible de vivre avec seulement un hectare en maraîchage et oui, encore beaucoup trop d’agriculteurs dépendent de l’industrie et de ses dérives mais la grande majorité des paysans aujourd’hui se situe entre les deux. Il me semblait essentiel de rétablir une vérité avec subtilité, nous avons utilisé mon témoignage pour pouvoir incarner toute la complexité agricole. Ce livre se veut universel, on peut le transposer à une bergère qui s’installe en montagne, une éleveuse de poules bio en Auvergne, etc.

 

Auriez-vous un conseil à donner pour qui aimerait se lancer dans l’élevage ou l’agriculture ?
Ne surtout pas être pressé car une reconversion professionnelle ne peut pas se faire en moins de trois ans. Si on la fait pour se consoler d’une rupture amoureuse ou pour fuir un métier, ça ne marchera pas. Il faut comprendre l’équilibre de cette nouvelle profession et bien hiérarchiser ses priorités car il ne faut pas se leurrer, lorsqu’on se lance dans l’agriculture, on sacrifie son pouvoir d’achat, ses vacances, la propreté de sa maison, sa vie sociale. Mais l’engagement est une chose merveilleuse, on atteint un état de plénitude car l’on se sent parfaitement à sa place. Produire de l’alimentation de qualité pour mes concitoyens remplit tous les aspects de ma vie.

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Retrouvez l’intégralité de cet échange avec Stéphanie Maubé par Jill Cousin
dans le Volume 8 des Confettis, disponible sur notre boutique.

 

Photos ©Julien Benhamou